Audi

Célébrités

Divertissement

Cannes 2024 - “Emilia Perez” de Jacques Audiard, c’est balèze

cannes 2024 - “emilia perez” de jacques audiard, c’est balèze

Zoe Saldana à l’affiche du film “Emilia Perez” de Jacques Audiard

Le dixième long métrage de Jacques Audiard, Palme d’or 2015, nous offre l’émotion (très) forte après une première semaine de Compétition.

“Cannes, le Festival, ça vous dit quelque chose ?” Il régnait un climat de folie samedi soir, à l’approche du Palais peu après 17 heures. Au nombre de pingouins qui vous bousculaient en vous doublant sur le trottoir, on se serait cru chez dans La Cité de la peur – “Laissez moi passer, j’ai une inviiiteuuuh !”. Et tout ça, à cause de la montée (des marches) que personne n’avait envie de rater. Celle d’Emilia Perez de Jacques Audiard. Le buzz courait comme la main gauche d’un mariachi sur le manche de sa guitare. C’était THE film à ne pas manquer avant de rentrer sur Paname pour certains.

Et on ne l’a pas manqué ; et on a applaudi comme des dératés tout en écrasant une larme en regardant Zoe Saldaña, Selena Gomez et surtout Karla Sofía Gascón chialer comme des mômes sous l’ovation qui tombait de la corbeille. Les artistes ont tous les droits, peuvent tout se permettre et Audiard est un grand artiste. Incapable de faire deux fois le même long métrage.

Ici, il ose carrément le film de cartel mais le dote de contours de comédie musicale. L’action se déroule au Mexique qu’il a reconstitué en studio près de Paris, on n’y voit que du feu : le cinéma et sa fameuse “magie” ! Surtout, il y a dirigé des acteurs intégralement en espagnol, langue maternelle de Zoe Saldaña, Karla Sofia Gascón, Edgar Ramirez et Selena Gomez.

“En français, je m’attache à la syntaxe, a expliqué le cinéaste, au choix des mots, à la ponctuation… qui ne servent pas à grand-chose. Alors que dans une langue que je ne comprends pas ou mal, poursuit Audiard, mon rapport avec le texte de cinéma devient exclusivement musical. L’espagnol est une langue très forte, très physique, très accentuée.”

Un petit air d’opéra

La trame du film décoiffe. C’est d’abord l’histoire d’une avocate au service d’un cabinet plus enclin à blanchir des ordures criminelles qu’à servir la justice. Mais une porte de sortie inespérée se présente à elle ; une proposition qu’on ne peut refuser comme le sussurait Marlon Brando dans Le Parrain : aider Manitas, le chef de cartel, à se retirer des affaires et disparaître à jamais. Car Manitas a un plan qu’il peaufine en secret depuis des années : devenir, enfin, la femme qu’il a toujours rêvé d’être. Et qu’il sent devoir être.

Jacques Audiard réunit tous ces éléments a priori disparates et nous en compose une œuvre d’art. Il y a six ans, il avait lu le roman de Boris Razon, “Écoute” : ”Au milieu du livre apparaît un personnage de narco trans, désirant se faire opérer. Mais n’étant pas vraiment développé, j’en ai fait le point de départ”.

Romanesque et politique

Le propos d’Emilia Perez est de cette manière éminemment romanesque, mais aussi politique dans un contexte où toutes les minorités réclament désormais une plus grande visibilité. Sur le plan purement artistique, paroles, musique et chorégraphie s’immiscent dans le récit, l’enveloppent, le sertissent, avec une élégance folle et une énergie communicative.

Pourquoi avoir donné cette forme musicale au film ? Le hasard de la création. Pendant le confinement, Audiard, qui avait écrit très rapidement un premier traitement, voyait son fil narratif “prendre plus la forme d’un livret d’opéra que d’un scénario : division en actes, peu de décors, personnages archétypaux…”.

Un ami producteur et mélomane lui parle alors du compositeur Clément Ducol, qu’il rencontre. “Camille, sa compagne, nous a très vite rejoints comme parolière. Tous les quatre, avec Thomas Bidegain, nous sommes alors partis nous enfermer dans une maison en province pour travailler. C’était au printemps 2020.”

Masculinité et violence

“Emilia Perez c’est une histoire de rachat, estime le réalisateur du ‘Prophète’ : le fait de changer de genre peut-il faire percevoir différemment la violence des hommes ? Fondamentalement, je ne pense pas, dit-il. La violence rattrape Emilia quand même. C’est le chemin qui la conduit à sortir de ce cercle de violence qui est en lui-même vertueux.”

Dans sa note d’intention, Audiard dit ne pas avoir eu à se documenter particulièrement sur la transidentité durant le travail de préparation. “Je n’ai pas de culture théorique sur la question trans. C’est vraiment Karla Sofía Gascon (Emilia Perez dans le film, NDLR) qui a fait mon éducation sur le sujet, par mail, je lui posais des questions, elle me répondait. Quel courage elle a dû mobiliser pour se faire opérer, mais aussi quelle souffrance endurée avant l’opération : toute cette vie passée dans un corps qu’elle ne reconnaissait pas comme le sien. Je ne sais pas si l’on peut parler d’un exemple de liberté dit encore Jacques Audiard, mais c’est dans le fond ce que je pense.”

De Carlos à Karla

Le monde change, le festival aussi. Samedi, il est plus que vraisemblable qu’un ancien acteur se voit décerner le Prix d’interprétation féminine. Il y a 8 ans, il s’appelait Carlos, travaillait depuis déjà longtemps, pour la télé espagnole, le théâtre, la pub. Depuis 2018 et après avoir opéré sa transition au Mexique, Carlos est devenu Karla. Karla Sofía Gascón pour être exact, 52 ans, toujours marié à sa femme qui lui a donné une fille aujourd’hui âgée de 15 ans. Victoria. “Elle m’a appuyée, elle m’adore comme je l’adore. Je suis son père, aussi sa mère, mais je suis son amie”. Jacques Audiard avait pensé employer deux acteurs pour incarner le double rôle de Manitas/Emilia Perez. Mais Karla l’a ému et décidé qu’une femme trans endosserait les deux faces du personnage. Audiard accomplit là ce que Jean-Marc Lalanne dans les Inrocks appelle “une déconstruction de son propre cinéma”. Le festival aussi, à sa manière. Et l’étape d’après ? Karla a son idée : ”Je rêve d’un rôle de boulangère ou de poissonnière, sans que la question de ma transidentité soit forcément évoquée.”

TOP STORIES

Top List in the World