Dans les années 60, les Chevrons ont convaincu les plus grands photographes de leur temps (et peut-être du siècle) de travailler à la réalisation de leurs brochures et journaux internes. Une drôle d’histoire dont le héros est un éditeur : Robert Delpire.
Le feu arrière d’une DS, vu par William Klein, pour la brochure du modèle.
Il y a quelques jours, disparaissait un très grand photographe. Comme il est de coutume dans ce cas, la mort de William Klein, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a déclenché une avalanche de publications de ses images, dont certaines sont ultra-célèbres. Pourtant, dans ce flot d’hommages, plusieurs photos sont passées aux oubliettes. Et pour cause : la publicité a rarement droit de citer dans les ouvrages d’art et dans les galeries. Or, Klein, mais aussi Henri Cartier-Bresson, André Martin, Sarah Moon et d’autres ont travaillé pour le service communication de Citroën, et ont réalisé des images splendides, même si elles restent difficiles à retrouver aujourd’hui, puisque les quelques exemplaires restant s’échangent contre des sommes rondelettes entre collectionneurs.
Les gans de New York et Serge Gainsbourg, deux très célèbres photos de William Klein.
Mais pourquoi et comment, des hommes et des femmes d’image de l’envergure de ces icônes de la photo en sont-ils venus à travailler sur les brochures, mais aussi sur le journal interne de Citroën, à destination du réseau, le bien nommé L’agent Citroën ? C’est que l’engouement pour la photo d’art, et ses tirages qui atteignant parfois plusieurs centaines de milliers d’euros est récent. Il y a 60 ans, les galeries consacrées à l’image fixe, et les passionnés qui tentaient de faire connaître ces artistes étaient rares, et aussi fauchés que les photographes qu’ils tentaient de défendre. Robert Delpire était de ceux-là. Pour améliorer ses fins de mois, et ceux de ses poulains, il a une idée au tout début des années 60 : travailler pour des industriels, à la condition que les artistes aient carte blanche.
Quand le service communication s’appelait service de la propagande
L’usine Citroën de Levallois vue par Henri Cartier-Bresson.
Durant toute cette période, les brochures des DS, ID, 2ch et Ami 8 seront signées Delpire dans une mise en page d’avant-garde pour l’époque, et avec les images des plus grands photographes de leur temps. Après la fin de son contrat avec Citroën, repris par Jacques Séguéla et RSCG, Robert Delpire retournera à ses autres activités : sa galerie et sa maison d’édition. En 1982, il va fonder le Centre National de la Photographie au ministère de la culture qu’il dirigera jusqu’à se retraite en 1996. Il a disparu en 2017 non sans avoir permis à la photographie de quitter un temps les musées, les galeries et les coffres des marchands d’art pour s’introduire dans les petits garages comme chez les particuliers qui ramenaient chez eux les fameuses brochures Citroën.