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Clotilde Delbos, cheville ouvrière du redressement de Renault, quitte le groupe

clotilde delbos, cheville ouvrière du redressement de renault, quitte le groupe

Clotilde Delbos chez Mobilize, en 2022

Elle était en charge des nouvelles mobilités chez Renault, après avoir brillamment assuré l’intérim dans l’attente de l’arrivée de Luca de Meo. Contre toute attente, Clotilde Delbos quitte le constructeur pour prendre une autre direction. Forte de sa personnalité pragmatique et inclusive.

Atteindre une rentabilité à deux chiffres d’ici à 2027 et générer 20 % des revenus du groupe Renault en 2030 : la feuille de route de Clotilde Delbos chez Mobilize semblait toute tracée. Mais celle qui a troqué ses talons aiguilles, symbole de sa vie d’avant, par des baskets écolos Veja, se prépare à mener une nouvelle bataille. Le 7 décembre 2022, elle a fait connaître sa décision de quitter le Groupe Renault le 31 décembre 2022. Pour aller où ? Nul ne le sait encore.

“Je crois, en tant que directeur financier puis directeur général adjoint de Renault Group, et CEO de la marque Mobilize, avoir apporté ma contribution au redressement du groupe”, a-t-elle expliqué dans un communiqué. Au moment d’écrire ses mots d’adieu, Clotilde Delbos a sans doute repensé à la nuit du 10 octobre 2019, qui fut brève et agitée. “Mais que vais-je faire dans cette galère ?”, se tourmente-t-elle celle qui, quelques heures plus tôt, a accepté au pied levé d’assurer la direction générale de Renault pour quelques mois.

A la tête du triumvirat de Renault

Le groupe automobile est en danger : depuis l’arrestation au Japon de son ancien patron Carlos Ghosn et sa fuite rocambolesque, les relations avec Nissan sont exécrables ; au printemps, un projet de méga-fusion avec Fiat-Chrysler a échoué ; la situation financière se dégrade à vitesse grand V. Le 11 octobre, Thierry Bolloré, l’encore directeur général de Renault, est congédié lors d’un conseil d’administration extraordinaire avec effet immédiat.

Huit jours plus tard, sa remplaçante lance un avertissement sur les résultats, revoyant à la baisse tous les objectifs du constructeur. Pour redresser la barre, le président de Renault Group Jean-Dominique Senard instaure une gouvernance de transition avec trois managers. “Il m’a demandé si je voulais prendre la tête de ce triumvirat. Et j’ai dit oui”, se souvient cette quinquagénaire qui dirige encore pour quelques jours, jusqu’au 31 décembre 2022 Mobilize, la division chargée de repenser l’avenir de l’automobile avec sa petite Duo à base de matériaux recyclés, le réseau d’autopartage Zity, l’appli de location longue durée Bipi, mais aussi les bornes de recharge de véhicules électriques implantées à moins de 5 minutes de l’autoroute. “Mon credo, dit-elle, c’est de passer du modèle de la propriété à celui de l’usage.”

Parcours d’étapes

30 septembre 1967 : naît à Nancy.

1989 : diplômée de l’EM Lyon.

1990 à 1992 : auditrice chez Price Waterhouse aux USA.

1992 : Pechiney.

2012 : Directrice performance de Renault.

2016 : Directrice financière de Renault et présidente du conseil de RCI Bank.

Octobre 2019 : Directrice par intérim de Renault SA.

Juillet 2020 : Directrice générale adjointe de Renault.

Janvier 2021 : Directrice générale de Mobilize.

31 décembre 2022 : quitte le Groupe Renault.

Ce deus ex machina illustre à merveille le tempérament d’une femme qui a pour réputation de faire passer les intérêts de l’entreprise avant les siens. Car quel autre dirigeant aurait accepté de prendre les commandes — par intérim ! — d’un tel paquebot à la dérive ? L’exercice 2019 se solde en effet par un déficit de 141 millions d’euros, le premier en dix ans, qui explose à 7,3 milliards au cours des six mois suivants. “Ce poste est le plus gros défi que j’aie jamais eu à relever”, concède celle qui n’avait jamais occupé de poste opérationnel auparavant. “D’autres auraient opté pour la facilité, mais pas elle”, admire Thierry Piéton, l’actuel directeur financier de Renault Group, qui fut son bras droit durant près de sept ans.

Fidèle en amitié, Clotilde Delbos a le sens du collectif. Cela tombe bien car elle doit, dans un premier temps, partager le pouvoir avec deux directeurs à forte carrure qui font paraître cette blonde pour plus chétive qu’elle n’est. “Si Clotilde avait été un homme, elle n’aurait probablement pas toléré cette dilution de son autorité”, parie un analyste. L’intéressée dit n’y avoir vu aucun relent de patriarcat, justifiant même cet attelage extravagant : “Le conseil voulait simplement contribuer à ma réussite en m’adjoignant deux spécialistes de la production et du commerce.”

Clotilde Delbos fait tomber le triumvirat et assume seule la direction par intérim de Renault

Dans la pratique quotidienne, pourtant, cette direction collégiale s’avère inefficace. “L’information circulait mal au sein de cet étrange comité exécutif à trois étages”, se souvient Hadi Zablit, alors secrétaire général de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi. D’ailleurs, Clotilde Delbos obtient d’y mettre fin rapidement : la voilà seule aux commandes dans l’attente de la prise de fonction de Luca de Meo, successeur désigné de Thierry Bolloré. “Je lui laisse la responsabilité de la stratégie à long terme, s’empresse-t-elle de dire, pour ne pas le mettre dans la position inconfortable de devoir invalider mes choix.”

Elle aime

Sa tribu (famille au sens large).

Le rugby.

Voyager et découvrir.

Le bon sens.

Les bons vins.

Elle n’aime pas

Tergiverser.

Les jeux politiques.

La mauvaise foi.

Le café.

Pourtant, au plus fort de la tempête, Clotilde Delbos fait preuve d’une réelle témérité malgré les affres de l’Etat actionnaire. “Nous n’avons aucun tabou et nous n’excluons rien”, lance-t-elle lors de la présentation des résultats du groupe en réponse aux questions sur une possible fermeture d’usines en France. Et d’annoncer un plan d’économies de plus de 2 milliards d’euros qui passera par 15.000 suppressions de postes dans le monde. Arithmétique, elle tire un trait sur la Chine, “une grosse déception”, où les ventes du groupe Renault sont en recul de 17%, en stoppant la coentreprise avec Dongfeng, sous la houlette de son mentor Jean-Dominique Senard.

A la tête de Renault Group, Jean-Dominique Senard accorde sa confiance à Clotilde Delbos

Leur rencontre remonte à 1996, chez Pechiney. “Jean-Dominique et Clotilde s’admirent mutuellement”, rapporte Christel Galbrun-Noel, présidente de Segment Mobility chez Schneider Electric. Très vite, le nouveau directeur financier remarque les compétences de la jeune auditrice. “Elle a une connaissance très complète des enjeux”, apprécie son ancienne collègue Christel Bories, aujourd’hui PDG du géant minier Eramet. “Elle aime le contact avec les gens et le terrain, car elle cherche à comprendre les implications des choix financiers sur la production. Et elle n’est pas ce que j’appellerais une financière de moquette épaisse, qui passe sa vie derrière un ordinateur.” Des compliments que la directrice de Mobilize renvoie bien volontiers : “Christel Bories et Jean-Dominique Senard sont les personnes qui m’ont le plus apporté.”

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La double décennie passée à Pechiney a été effectivement très formatrice. De 1992 à 2012, la future patronne de Renault aura vécu la privatisation du géant français de l’aluminium, sa prise de contrôle par le canadien Alcan, l’OPA lancée par l’américain Alcoa, puis le démantèlement de cet ex-fleuron national par le repreneur anglo-australien Rio Tinto. “Clotilde et moi avons pu goûter au meilleur comme au pire des méthodes de management”, raconte Cristel Bories. Notamment le style canadien qui combine exigences fortes et grande bienveillance.” Elle en tirera une leçon fondatrice pour son style de management chez Renault, qu’elle rejoint en 2012 : ne jamais oublier que derrière les chiffres il y a des salariés. Un trait de caractère déjà perceptible lors de sa formation à l’EM Lyon, l’école de commerce où elle a rencontré Cécile Le Bon, aujourd’hui directrice de la prévention et du recouvrement à la Société générale.

Clotilde Delbos conserve un souvenir ému de sa 4L, au moment où Renault revisite cette icône

Cette amie de longue date décrit une étudiante “bosseuse mais disponible pour les autres, qui aimait organiser des fêtes”. La Renault 4L verte de Clotilde Delbos a marqué les mémoires de la bande de copains. Cette fourgonnette ornée d’autocollants Interflora, héritée de sa tante fleuriste, était “super pratique pour transporter la sono”, sourit celle qui revisite aujourd’hui chez Mobilize le thème de la mobilité avec la petite biplace électrique Duo en libre-service. Mais pour faire Lyon-Nancy, sa ville d’origine, “il ne fallait pas être trop pressé”.

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Et voilà que l’armure se fissure. Celle qu’on imaginait aussi froide et analytique que les tableaux Excel qu’elle mouline à longueur de journée se révèle “intensément humaine”, dit-on en interne. Et pas que dans les hautes sphères de la direction. “Si elle raisonnait en pure financière, elle n’aurait pas mis en garde le conseil d’administration contre les dangers sociaux d’un plan de réduction des coûts appliqué trop brutalement”, affirme ainsi Frédéric Barrat, administrateur élu par les salariés du groupe.

Sans que Bercy ait à lui rappeler, elle veut à tout prix éviter la casse sociale et les licenciements secs. “Force est de reconnaître que la promesse a été tenue”, souligne Mariette Rih, déléguée syndicale centrale FO. “Les gens étaient inquiets mais, avec elle, ils savaient sur quel pied danser car les problèmes avaient été mis sur la table.” Clotilde Delbos avoue avoir passé “beaucoup de temps” au début de son intérim à remonter le moral des cadres, après que le ministre de l’Economie Bruno Le Maire eut affirmé que “Renault pourrait très bien disparaître”.

Sa passion du rugby inspire à Clotilde Delbos une méthode de management

Dans ses fonctions chez Mobilize, où l’urgence ne rythme plus ses journées, ses qualités de leader s’expriment différemment. “Clotilde encourage ses adjoints à lui remonter l’information même lorsqu’elle semble contredire ses choix”, raconte Joao Leandro, directeur général de Mobilize Financial Services. “Et elle n’a aucun problème à admettre ses erreurs.” En retour, cette fédératrice exige beaucoup de ses troupes.

L’intéressée confirme sans problème et fait le parallèle avec le rugby, un sport qu’elle a appris à aimer devant la télévision, avec son père. “Je me souviens être revenue de colonie de vacances folle de rage, à l’âge de six ans, parce que j’avais manqué deux matchs du tournoi des Cinq Nations”, raconte celle qui a “épousé un rugbyman”, et dont deux des trois enfants pratiquent ce sport.

Mobilize crée de la valeur en louant plusieurs fois un même véhicule

Aujourd’hui, sa capacité à embarquer les équipes est mise à contribution pour convaincre “ces vieux messieurs de l’automobile” qu’il est possible de gagner de l’argent en renonçant à vendre des véhicules pour ne plus proposer que des services de mobilité et de la location. “Clotilde Delbos doit démontrer que Mobilize n’est pas juste un machin créé pour séduire les investisseurs”, grince un analyste, qui rappelle l’échec de la société de VTC Marcel, revendu par Renault en 2020. L’autopartage ? Guère plus rentable, à en croire BMW et Mercedes qui, après quatorze années de pertes, ont cédé leur activité conjointe à Stellantis. Tant et si bien que Luca de Meo décrit le poste de la directrice générale de Mobilize comme étant “le plus difficile chez Renault”. Rien qui ne puisse effrayer Clotilde Delbos, toujours motivée par les chiffres.

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Atteindre une rentabilité à deux chiffres d’ici à 2027 et générer 20 % des revenus du groupe en 2030 : la feuille de route de Clotilde Delbos chez Mobilize semble toute tracée. Mais celle qui a troqué ses talons aiguilles, symbole de sa vie d’avant, par des baskets écolos Veja, se prépare à mener une nouvelle bataille. Le 7 décembre 2022, elle fait connaître sa décision de quitter le Groupe Renault le 31 décembre 2022. Pour aller où ? Nul ne le sait encore.

“Les dix ans que je viens de passer dans le groupe ont été passionnants”, déclare-t-elle. “Je remercie chaleureusement les collaborateurs du groupe qui, défiant les multiples crises de ces dernières années, ont œuvré pour faire de Renault la belle entreprise qu’elle est aujourd’hui. Je crois, en tant que directeur financier puis directeur général adjoint de Renault Group, et CEO de la marque Mobilize, avoir apporté ma contribution au redressement du groupe. Renault est désormais positionné à l’avant-garde de l’industrie automobile et je suis convaincue que Mobilize et ses équipes en seront le fer de lance.”

Pied au plancher, Clotilde Delbos poursuit sa route. Elle sera remplacée par Fedra Ribeiro, actuellement Directrice des opérations de Mobilize.

Ce qu’ils disent d’elle

Jacques Aschenbroich, président du conseil de Valeo : ‘”Clotilde Delbos est ouverte, intelligente, humaine. Elle a su assumer avec professionnalisme et sérénité l’intérim entre Thierry Bolloré et Luca de Meo.”

Jean-Luc Allavena, président d’Atlantys Investors : “Elle est techniquement très compétente, très fiable et très travailleuse. Des qualités auxquelles elle ajoute beaucoup de chaleur humaine.”

Jérôme Daumont, directeur du groupement des concessionnaires Renault : “Elle a cette capacité à se mettre en danger pour le bien de l’entreprise. A la tête de Mobilize, son profil convient à merveille.”

François Guionnet, vice-président territoires et performances de Mobilize Financial Services : “Elle consulte beaucoup mais une fois ses décisions prises, elle n’est jamais ambiguë. Il n’y a chez elle aucune représentation, que de la sincérité et de l’authenticité dans ses relations avec ses équipes.”

Jeremy Leach, group general counsel de Constellium : “Nous avons commencé nos carrières chez Pechiney au début des années 1990. Je l’ai trouvée très humaine, réactive et organisée : elle savait déléguer et travailler en équipe. C’est son côté emotional intelligence. Son expérience chez PwC en Californie et sa maîtrise de la langue anglaise la rendaient nettement plus internationale que les autres Français.”

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