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Interdiction de vente des voitures thermiques : qu'est-ce que les carburants de synthèse, que l'Europe a promis d'autoriser après 2035 ?

L’Union européenne a validé la fin des moteurs thermiques dans les voitures neuves à partir de 2035, mesure centrale du plan climat des 27. Mais elle a aussi ouvert la voie aux véhicules fonctionnant aux carburants de synthèse, une solution pourtant contestée.

interdiction de vente des voitures thermiques : qu'est-ce que les carburants de synthèse, que l'europe a promis d'autoriser après 2035 ?

Interdiction de vente des voitures thermiques : qu’est-ce que les carburants de synthèse, que l’Europe a promis d’autoriser après 2035 ?

“E-fuels”, “carburants de synthèse”, “électro-carburants”… Sous ces noms, une même technologie qui se fraye un chemin dans la loi européenne. Alors que l’UE a contraint les automobiles neuves à ne plus émettre aucun CO2 d’ici à 2035, interdisant de fait les véhicules essence, diesel et hybrides au profit du tout électrique, l’Allemagne a obtenu un accord pour autoriser à l’avenir les véhicules fonctionnant aux carburants de synthèse. Si le texte est resté inchangé, Bruxelles s’est ainsi engagé à ouvrir plus nettement la voie à ces carburants dans une proposition séparée qui devra être validée d’ici à l’automne 2024. Ce compromis doit encore être adopté lors d’une réunion des ministres de l’Energie européens, mardi 28 mars, ultime étape du processus législatif. Mais quels sont ces carburants de synthèse ? Que permettent-ils et quelles sont leurs limites ? Franceinfo vous décrit cette solution contestée.

Ils sont fabriqués à partir de CO2 et d’électricité bas carbone

Ces carburants sont “produits sans pétrole ni biomasse, mais à partir de CO2 et d’électricité bas carbone”, présente le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) dans une note. Ils sont fabriqués après “une électrolyse de l’eau permettant de produire de l’hydrogène bas carbone, qui est ensuite combiné au CO2 (…) de manière à produire un carburant”. Un CO2 qui serait issu des émissions des activités industrielles comme les cimenteries ou les aciéries, cite le CEA, ou de captation dans l’atmosphère.

Les e-fuels se veulent donc faibles en émissions de carbone, responsables du changement climatique. Un véritable enjeu alors que les transports représentent près de 30% des émissions de CO2 de l’Union européenne – “dont 72% proviennent du transport routier”, note le Parlement – et que l’Europe s’est fixé un objectif de neutralité carbone en 2050. “Les e-carburants se caractérisent par une empreinte carbone réduite sur tout leur cycle de fabrication d’au moins 70% par rapport aux carburants pétroliers”, ajoute dans ce cadre le CEA.

Cette technologie est encore inexistante

“Avec les e-fuels, les véhicules et les installations peuvent être utilisés de manière climatiquement neutre dans le monde entier aujourd’hui et à l’avenir”, promet la E-fuel Alliance (lien en anglais) regroupant les acteurs qui misent sur cette technologie. Aujourd’hui ? Pas tout à fait. Cette solution n’est en effet pas aboutie et les projets n’en sont qu’au stade de développement. Le journal Les Echos (article payant) cite par exemple la “mise en service, en décembre 2022, [d’une] usine pilote au Chili”.

> Réchauffement climatique : la technologie suffira-t-elle à régler le problème ?

L’organisation européenne rassemblant des ONG du domaine du transport et de l’environnement Transport & Environment alertait même (lien en anglais), en octobre 2022, sur le fait qu'”il n’y aura assez de carburants synthétiques que pour alimenter environ 2% de toutes les voitures sur les routes européennes d’ici” à 2035. Inquiétant, alors que le Giec a rappelé l’urgence d’agir pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, la décennie 2020-2030 étant cruciale. “Se réfugier dans le techno-solutionnisme est une manière paresseuse de se rassurer en disant : ‘Les ingénieurs vont résoudre le problème'”, prévenait ainsi l’ingénieur et essayiste Philippe Bihouix auprès de franceinfo.

Cette solution est poussée par le luxe (et pour le luxe)

Derrière les investissements pour le développement de cette technologie, “les spécialistes des voitures de sport luxueuses que sont Ferrari et Porsche”, rapportent Les Echos. Le quotidien cite le constructeur Ferrari : l’e-fuel “nous permettrait de diminuer les émissions tout en continuant d’utiliser des moteurs à combustion interne et ainsi préserver notre héritage technologique”.

Mais, de l’avis de nombreux experts, les carburants de synthèse ont pourtant peu de chances de s’imposer sur le marché et ne concerneraient qu’une minorité de véhicules de luxe. L’industrie a en effet déjà massivement investi dans les véhicules électriques. Même s’ils font leurs preuves, les carburants de synthèse, qui n’existent pas aujourd’hui, “ne joueront pas de rôle important à moyen terme dans le segment des voitures particulières”, a déclaré récemment Markus Duesmann, patron d’Audi (groupe Volkswagen). En raison de leur coût, ils n’auront de sens que pour quelques voitures de luxe “comme des Porsche 911 ou des Ferrari”, a ajouté Ferdinand Dudenhöffer, expert du Center Automotive Research en Allemagne.

S’ils sont donc difficilement envisageables à grande échelle pour les véhicules particuliers, d’autres secteurs pourraient être intéressés. “Notamment le transport longue distance, l’aviation ou le maritime, qui doivent embarquer des carburants à très haute densité d’énergie”, explique à Libération (article payant) Thibault Cantat, directeur de recherches au CEA.

Ces carburants comprennent de nombreux risques

Les carburants de synthèse sont aussi vivement contestés par les ONG environnementales, qui jugent cette technologie coûteuse, énergivore et polluante. Polluante face à l’électrique, alors que Transport & Environment estime que les véhicules électriques émettront 53% de CO2 en moins que les moteurs alimentés en carburants de synthèse. L’organisation ajoute “qu’une voiture brûlant des carburants synthétiques émet autant de NOx [oxydes d’azote] toxiques que la combustion de carburants fossiles”.

Des carburants également coûteux : “Un litre d’e-fuel coûterait jusqu’à 7 euros aujourd’hui” et pourrait rester “aux alentours de 1 à 3 euros d’ici 2050”, notent Les Echos. Des prix bien supérieurs aux carburants actuels, tandis que la E-fuel Alliance promet de “réduire les émissions de CO2 de manière décisive et abordable”.

Energivores, enfin, alors qu’ils “vont solliciter fortement la production d’électricité bas carbone pour la fabrication d’hydrogène ou l’électro-réduction directe du CO2”. Les experts redoutent donc les conflits d’usage de l’électricité provenant des renouvelables ou du nucléaire, éléments-clés de la décarbonation de nos usages. “En Europe, les e-carburants pour voitures aspireraient l’électricité renouvelable nécessaire au reste de l’économie”, alerte l’analyste pour Transport & Environment Yoann Gimbert.

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