Route de nuit

L'ouvrier Michelin qui murmure à l'oreille des cadres

Après 43 ans tout au bas de l'échelle du Bibendum, Jean-Michel Frixon a raconté ce qu'il a vécu, et subi, pendant plus de quatre décennies. Une vie de labeur, faite parfois d'humiliations et une histoire qui a touché la direction du groupe, et bien au-delà, a permit aux cols blancs de mesurer la distance qui les sépare trop souvent du terrain.

l'ouvrier michelin qui murmure à l'oreille des cadres

derrière la façade du siège social de Michelin à Clermont-Ferrand, une réalité différente.

Son histoire ressemble à un conte de fées. Mais un conte, c’est souvent terrifiant, et on y retrouve aussi des méchants, des malheurs et des sorcières. Dans Michelin, matricule F276710 de Jean-Michel Frixon, il n’y a ni prince charmant, ni château mais une usine, celle de Clermont-Ferrand, ou l’auteur a passé 43 ans de sa vie. Toute une carrière entamée en sortant de la classe de 3e, sans le moindre diplôme. Quand d’autres entrent au lycée, l’auteur entre à l’atelier et devient un “Bib”, comme on les appelle là-bas.

Une carrière qu’il a racontée dans cette autobiographie publiée en 2021. Il y évoque la douleur de n’être qu’un matricule sans nom en arrivant, la douleur aussi du travail de forçat, lorsqu’il devait décharger 10 semi-remorques par jour. Et la douleur de l’humiliation encore, celle des « petits chefs » comme il les appelle, qui l’ont parfois traité de “parasite” et ont poussé deux de ses collègues au suicide et nombre d’autres vers l’alcoolisme.

Jean-Michel Frixon et son premier ouvrage, après une vie d'ouvrier, et de sportif amateur aussi.

Jean-Michel Frixon et son premier ouvrage, après une vie d’ouvrier, et de sportif amateur aussi.

Mais son livre n’est pas une charge de plus, une dénonciation à la sulfateuse de la pénibilité du travail en usine, ou un énième affichage de la lutte des classes qui oppose les cols bleus aux cols blancs. D’autres l’ont fait depuis longtemps, avec plus ou moins de talent. À la différence de ses prédécesseurs, Jean-Michel Frixon ne dénonce pas, il accumule.

Dans ses pages défilent les mauvais « petits chefs », qu’on appelle aujourd’hui les « managers toxiques », mais aussi les bons responsables de service, qui lui ont fait confiance et qui, peut-être, lui ont sauvé la vie. Il ne remet pas en cause l’entreprise elle-même, pas même la gouvernance patriarcale qui a pu s’y exercer, ou qui s’y exerce encore, mais le manque de lucidité de la hiérarchie parfois, et de promotions à la petite semaine souvent.

La direction du groupe assume

Ce qu’il raconte, c’est la dictature des petits chefs mal formés ou pas formés du tout, mais qui ne sont clairement pas à leur place et, par peur, ou par incapacité de manager, en viennent à humilier leurs collaborateurs. Résultat : lorsque son livre paraît en 2021, d’autres que les Bib s’y reconnaissent, issus d’autres entreprises.

La direction de Michelin aussi, finit par s’y reconnaître. Jean-Michel Guérin, directeur industriel monde du groupe rencontre l’ouvrier écrivain et l’invite à raconter son histoire devant les 15 plus hauts dirigeants de Michelin, avant de lui demander d’entamer un tour de France pour partir à la rencontre des « petits chefs » et des ouvriers des 15 sites hexagonaux du groupe.

De cette expérience, Jean-Michel Frixon a tiré un deuxième ouvrage qui vient de paraître. Dans L’ouvrier qui murmurait à l’oreille des cadres, il évoque notamment la méconnaissance totale du terrain par les hauts dirigeants, et bien évidemment le besoin énorme de reconnaissance des ouvriers. Après ce tour de France, Florent Ménégaux, le PDG du groupe, souhaite que l’expérience du petit Bib de Clermont soit connue dans tous les pays du monde ou Michelin est présent.

De son côté, Jean-Michel Frixon vient de donner une conférence aux élèves ingénieurs de l’école des Mines de Paris. Pas mal pour un homme qui a quitté l’école sans le moindre diplôme. Finalement, son histoire est un véritable conte de fées, avec ses heurts, ses malheurs et sa fin heureuse.

TOP STORIES

Top List in the World