Actualité

Actualité à la Une

Renault

Renault savait-il tout du risque de casse de son moteur ?

renault savait-il tout du risque de casse de son moteur ?

Renault est attaqué par 1 700 automobilistes à cause d’un problème sur un moteur essence.

La procédure progresse en faveur des 1 700 automobilistes qui s’estiment victimes des graves défauts d’un moteur Renault essence 1,2 TCE qui équipe 400 000 véhicules en circulation en France. Le constructeur vient d’être condamné à fournir un ensemble de documents qui diront s’il a continué à commercialiser les véhicules alors qu’il avait connaissance d’un risque de casse. La question se pose également de la réponse de l’État.

Ce sera une mine d’informations pour les 1 700 automobilistes qui ont engagé une poursuite contre la marque au Losange après les déboires causés par des véhicules parfois achetés il y a plus de dix ans.

Le tribunal judiciaire de Versailles a ordonné, le 14 mars 2023, au groupe Renault de leur transmettre les plans de surveillance de ses usines, les alertes adressées en interne et aux garagistes, ainsi que divers audits et des documents techniques adressés à l’administration.

Une nouvelle étape dans ce que les avocats de 1 700 plaignants appellent le « Motorgate », dont la procédure judiciaire a débuté en janvier 2022. Leur nombre est appelé à progresser, puisqu’il reste possible de s’y rallier jusqu’au 30 juin.

L’action collective a été lancée par l’avocat parisien Christophe Lèguevaques, spécialiste de ce type de procédures, accompagné d’autres avocats à Paris, Marseille et Toulouse, et qui a pris le relais d’une première démarche commencée par l’association de consommateurs UFC-Que Choisir en mai 2019.

Des premiers documents caviardés

Me Christophe Lèguevaques estime qu’il vient de franchir  une étape judiciaire importante ​, car il s’agit  du premier jugement qui oblige Renault à transmettre tous les documents utiles pour établir avec certitude la date à laquelle le constructeur a eu connaissance du problème posé par son moteur ».

Jusqu’à présent, les seuls documents transmis par Renault l’avaient été après une simple assignation.  Nous n’avions reçu que des notes techniques presque entièrement caviardées, au nom du « secret des affaires » ​indique Olivier Blanchet, président de l’association Victimes du Motorgate.

Bien que censurés par le constructeur, ces documents ont quand même permis de constater que Renault a identifié en 2015 les défaillances de l’un de ses principaux moteurs.

En cause, les problèmes posés par le moteur essence 1,2 TCE (chez Renault), appelé DIG-T chez Nissan. Ce moteur a été produit de 2012 à 2018 dans l’usine Renault de Valladolid (Espagne) et dans celle de Nissan à Sunderland (Royaume-Uni).

Casse du moteur fréquente à partir de 60 000 km

Les modèles susceptibles d’être concernés sont les Renault Captur, Clio 4, Kadjar, Kangoo 2, Megane 3 et 4, Scenic 3, Grand Scenic 3 et 4, ainsi que des Dacia Duster 1 et 2, Dokker et Lodgy, ou encore des Nissan Juke, Qashqai 2 et Pulsar et enfin des Mercedes Citan. Le problème viendrait d’une surconsommation d’huile qui pénétrerait dans la chambre de combustion, causant son encrassement et celui des soupapes, ainsi qu’une perte de la lubrification des cylindres.

Les plaignants font état de surconsommation d’huile, de perte de puissance, mais aussi et surtout, parfois, d’une casse moteur survenant entre 65 000 et 125 000 km. Par définition, cette panne majeure survient lorsque le véhicule est en marche. Il peut alors se trouver brutalement immobilisé en pleine route.

Le nombre de véhicules commercialisés avec une version du moteur où le risque est avéré atteindrait les 400 000 pour la France et les 600 000 pour l’Europe.  Le pire est que nous constatons que des véhicules d’occasion concernés sont encore en vente dans le réseau Renault sans mise en garde, ​souligne Me Christophe Lèguevaques.Nous l’avons fait constater par huissier ».

Voiture bloquée sur l’autoroute

Sur différents forums ainsi que dans Ouest-France, de nombreux témoignages font état de pannes brutales survenant en roulant, parfois sur autoroute, sans même la possibilité de se rabattre sur la bande d’arrêt d’urgence.

 Nous avons connaissance d’au moins 1 700 casses moteur,​indique Olivier Blanchet, dont un quart se sont produites à 130 km/h sur autoroute, avec de grosses frayeurs. Nous avons des suspicions d’accidents causés par ces pannes, mais nous ne pouvons pas les prouver. Mais comme nous estimons qu’il y a sans doute eu des dizaines de milliers de pannes graves en roulant, il est statistiquement impossible que ça n’ait pas provoqué d’accidents ».

Face au danger encouru et au coût du remplacement d’un moteur (plus de 10 000 €), le groupe Renault se voit reprocher de jouer la montre et la procédure. L’association de défense des consommateurs UFC-Que Choisir avait appelé le constructeur à procéder à un rappel de tous les véhicules concernés.  Renault ne l’a pas fait, en dépit du risque évident pour la sécurité, parce que la réglementation européenne n’inclut pas le moteur parmi les organes de sécurité dont les défauts imposent le rappel des véhicules », ​observe Me Christophe Lèguevaques.

Selon les témoignages publiés, dans nombre de cas, le problème de la consommation d’huile excessive sur des véhicules récents a été minoré par des garagistes qui ont prétendu le résoudre en procédant à une reprogrammation.

 Nous savons qu’à partir de 2015, la consigne a été donnée par Renault aux garagistes de procéder discrètement à des réglages ou des réparations sans en parler aux clients,  ​assure Me Christophe Lèguevaques. Une amélioration a été apportée au moteur à partir de 2016, mais rien ne garantit qu’elle a réglé entièrement le problème, selon l’association des victimes.

Silence de Renault…

Quant au remplacement du moteur, puisqu’en cas de casse c’est la seule solution, nombre de plaignants font état de procédures tatillonnes de leur concessionnaire ou du constructeur, que le véhicule ait été acheté neuf ou d’occasion. Renault refuse de reconnaître le caractère générique du problème et, dans les meilleurs des cas, ne prend en charge qu’une partie des frais. « Nous savons qu’il y a des transactions amiables, avec engagement des victimes d’abandonner les procédures,  indique Olivier Blanchet.

Me Christophe Lèguevaques estime, pour sa part, que l’issue de l’action collective, par décision de justice ou à la suite d’un accord avec Renault, doit aboutir  au moins à une prise en charge complète des coûts par Renault ainsi qu’à une indemnisation du préjudice moral, car certaines victimes sont très marquées par la peur ressentie lors de la panne ».

Contacté, le groupe Renault indique prendre connaissance du jugement du 14 mars et se refuse à tout commentaire.

… et silence de l’État

Parmi les milliers d’automobilistes concernés, certains s’interrogent sur le silence des pouvoirs publics et, en particulier, de la Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF). Celle-ci serait bien au courant du sujet, ayant reçu des dossiers complets de certains d’entre eux.

 La DGCCRF aurait dû mettre son nez dans cette affaire. Nous l’avons maintes fois contactée,​assure Olivier Blanchet. Mais il se trouve que la DGCCRF dépend de Bercy, que Renault est une entreprise française importante, dont l’État est actionnaire. Et nous, nous sommes victimes d’un déni de justice. 

Interrogée, la DGCCRF indique que ce dossier  ne relève pas  ​de ses attributions. Celle-ci rappelle qu’elle se concentre sur les sujets  relevant du droit pénal de la consommation et pas du droit contractuel, donc pas des problèmes des garanties légales ou des vices cachés ».

Le problème de sécurité posé par les casses moteur relèverait plutôt du service de surveillance du marché des véhicules et des moteurs (SSMVM), au sein du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des Territoires, dirigé par Christophe Béchu. Contacté par Ouest-France, son cabinet n’a pas souhaité s’exprimer.

Me Lèguevaques indique qu’il va désormais  porter l’affaire au pénal ​en déposant plainte pour « tromperie et mise en danger de la vie d’autrui » d’ici à la mi-avril.

TOP STORIES