Billet d'humeur

Femme au volant, corps au tournant

Les femmes sont moins bonnes au permis de conduire, mais meilleures sur la route : l’insécurité routière, elles n’y sont pas pour grand-chose. Plus prudentes, dit-on. Mais, au fond, pourquoi le sont-elles ? Et qu’est la voiture pour elles ?

Femme au volant, corps au tournant

Les inspecteurs du permis de conduire vont recevoir une formation pour « atténuer les stéréotypes de genre » a annoncé la déléguée interministérielle à la Sécurité routière, Florence Guillaume.

En clair, il s’agit de ne plus pénaliser les conductrices pour ce qui leur est trop souvent reproché : manque de confiance en soi, hésitations, lenteur ou excès de prudence. Et de mettre fin à cet étrange paradoxe : le permis B des femmes coûte en moyenne 15 % plus cher que celui des hommes car elles doivent prendre plus de leçons et leur taux de réussite à l’examen est de 53 % contre 63 % pour ces derniers. Pourtant, les femmes ne sont responsables que de 16 % des accidents mortels – et 7 % de ceux avec alcoolémie positive. Vous avez bien lu : les hommes sont responsables de la quasi-totalité de la mortalité routière.

Pire, quand elles meurent sur la route (722 tuées contre 2 545 tués en 2022) c’est plus souvent en tant que victimes (ou passagères) que responsables de l’accident.

Cet écart, ce gouffre, n’est pas dû au fait qu’elles conduisent moins comme on le croit souvent : 49 % des conducteurs sont des conductrices et elles parcourent en moyenne 10 000 km par an contre 11 000 pour les hommes. La différence c’est l’usage du véhicule : plus de petits trajets quotidiens – mais pas forcément urbains – pour elles, plus de longs parcours et de conduite nocturne pour eux. Même écart au niveau des infractions, très largement le fait des hommes, hormis l’usage du téléphone, trois fois plus souvent relevé dans leurs accidents à elles.

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Engagez-vous, jeune homme !

Cette injonction aux inspecteurs du permis est une première. On leur avait déjà imposé de veiller au respect des règles de base de l’écoconduite, du « partage de la route », du respect des usagers vulnérables et même, énorme révolution, de ne plus rendre le créneau éliminatoire. Mais encore jamais d’inverser totalement leur mode de jugement pour ne pas dire leur hiérarchie de valeur.

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Je ne parle pas ici de tous les inspecteurs (et inspectrices, encore minoritaires), sachant que, scandale jamais assez dénoncé, de l’un(e) à l’autre, le taux de réussite varie dans un rapport d’un à trois, faisant du permis un genre de loterie.

Pas tous les inspecteurs donc, mais à longueur d’enquêtes sur le sujet, j’ai pu constater que la religion de la plupart d’entre eux restait largement marquée par les années 60 et 70, encore imprégnée du règne de Sainte Bagnole, quand la voiture était d’abord le domaine des hommes et que la première chose que l’on demandait à un(e) novice était d’abord de ne pas ralentir le trafic. Pas d’hésitation, jeune homme ! Engagez-vous ! Si la sécurité est passée devant, il en reste encore quelque chose dans leur valorisation d’une certaine rapidité et fluidité et surtout de la confiance en soi qui, sauf excès ou imprudence manifeste, reste le principal gage de réussite.

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Être dans le rythme…

Logiquement, cette culture du « faut que ça avance » a infusé chez les moniteurs et chez eux aussi, encore aujourd’hui, l’important c’est d’être dans le rythme, dans le flux, pas moins vite… quitte à dépasser un peu – pas trop, juste comme tout le monde – les limitations de vitesse, infraction que nombre d’apprentis découvrent dès l’auto-école et encore plus souvent depuis la généralisation des zones 30 km/h en ville…

Lors d’une enquête, une monitrice niçoise m’avait confié avoir dû, pour remédier à son faible taux de succès auprès des inspecteurs locaux, oublier une partie de ce qu’elle avait appris lors de son BEPECASER (désormais ECSR) et au passage s’asseoir sur quelques considérations féministes : ses élèves les plus prudentes et timorées, celles qu’elles jugeaient les moins dangereuses, échouaient quasi systématiquement au premier passage au contraire des cacous pilotant sans peur ni reproche. Ces filles, il fallait donc les « viriliser » selon ses termes.

Un peu comme se sont « virilisées » ces grandes rouleuses, généralement technico-commerciales, dont le taux d’accident, au départ bien plus bas, finit à la longue par approcher de celui de leurs confrères. « L’émulation » m’avait expliqué le DRH d’un grand groupe pharmaceutique…

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Des qualités comme des défauts

À chaque fois que j’ai dû me pencher sur ce sujet du permis, ces moniteurs et monitrices m’ont avoué avec une certaine gêne que le parfait « gibier de SAMU » (expression d’un moniteur breton), le jeune dont on découvre le nom le lundi matin à la rubrique accident du quotidien local, c’est le gamin – et presque jamais la gamine – bien doué et à l’aise au volant, qui a eu largement assez des vingt heures obligatoires pour décrocher le permis du premier coup et l’aurait même obtenu en moitié moins de temps.

Ce qui lui aura manqué dans son apprentissage ? Le contraire de la confiance en soi : la conscience de ses limites et aussi de celles des autres, la peur de mourir, d’être blessé, de blesser, de tuer, en un mot, la trouille qui n’est rien d’autre qu’une capacité d’imagination.

Ce n’est pas au programme et je ne vais pas m’attarder là-dessus, mais il existe des moyens d’ouvrir et stimuler l’imagination du « A » qui seraient plus utiles que d’apprendre à bien touiller une boîte de vitesses. Ne serait-ce qu’apprendre pourquoi la ceinture de sécurité ne doit pas être posée sur le ventre mais plaquée sur le haut des cuisses, et quelle différence cela fait au bloc opératoire.

Revenons aux faits ; cette trouille, ce manque de confiance en soi, les femmes semblent en être davantage et plus naturellement « dotées » et pas seulement au volant, mais je n’oserais être affirmatif de peur de me faire déconstruire…

Toujours est-il que la déléguée interministérielle, une femme donc, l’admet implicitement en demandant que ces qualités ne soient plus considérées comme des défauts. Et pas seulement chez les femmes, espérons-le.

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Quel est leur véhicule ?

Reste une question : pourquoi ont-elles moins d’accidents que « nous » (vu le ton des commentaires, il semble qu’ici, on soit entre hommes) et de fait, conduisent mieux si l’on considère qu’aller de A à B sans passer par la case H (hôpital) est le critère prédominant ? Au fond, pourquoi et de quoi ont-elles la trouille ?

J’entre ici dans une zone à risque, entre le piège du cliché macho et la trappe du poncif masculiniste mais courage, la peur de l’insulte n’éloigne pas le danger du ridicule.

Allons-y par une anecdote, certes bourrée de lieux communs, mais qui m’a donné à penser. Il y a peu, je m’étonnais auprès d’un ami du fait qu’il changeait de voitures et de motos plus souvent que moi de brosse à dents – j’exagère à peine – et que ça ne semblait pas émouvoir sa compagne.
Il m’a alors rétorqué – attention, terrain miné – qu’il n’avait aucune raison de culpabiliser car celle-ci dépensait largement autant en coiffeur, maquillage, soins du visage et de la peau avec les innombrables produits afférents, épilation, manucure, régimes, yoga, stages de remises en forme, de Pilates, club de gym sans oublier son dressing bourré à craquer et sa collection de chaussures, sacs à main et autres équipements coûteux.

Cette répartition très genrée des dépenses, certes parfaitement caricaturale et de ce fait rarement observable, m’a pourtant donné à penser.

Pour traverser l’existence, tempérer ses angoisses, se montrer aux autres, l’homme acquiert des véhicules, des objets en acier dans lesquels il se niche ou qu’il chevauche, des objets qui le rassurent ou le défoulent, qui l’aident à exprimer sa compétence, son goût, ses appétits de puissance. Des objets qui le prolongent, auxquels il s’attache, mais qu’il casse ou dont il se lasse et qu’il renouvelle généralement plus souvent que nécessaire.

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Le véhicule de la femme, c’est, je le crois, son corps et uniquement son corps, le reste n’est que serviles machines. Cet infiniment précieux véhicule, mal réparable et pas échangeable, elles répugnent à le mettre en péril sur la route. Quand les hommes mettent leurs montures en jeu dans tous les sens du terme, les femmes ne jouent pas avec leur corps

Et je pense que ce sont-elles qui ont raison, parfaitement et entièrement raison.

Femme au volant, corps au tournant

*expression américaine désignant la mère de famille sans cesse affairée à conduire ses enfants à diverses activités dont le soccer, nom américain du football.

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