Midi Pile

Affaire Palmade-Drogues au volant : "Tout existe déjà !"

En l’état actuel du droit, que vont changer les annonces de Gérald Darmanin en matière de conduite après usage de stupéfiant(s), si elles devaient être entérinées ? Le ministre de l’Intérieur appelle notamment à retirer systématiquement le permis aux conducteurs dépistés positifs. Réponse avec Caroline Tichit, avocate spécialisée en code de la Route.

Les annonces de Gérald Darmanin : intraitable sur les drogues, plus souple sur les excès de moins de 5 km/h

En réaction au grave accident survenu le 10 février en Seine-et-Marne, dans lequel est impliqué l’humoriste Pierre Palmade, positif aux stupéfiants au moment des faits (voir le rappel de faits tout en bas de cette page), le ministre de l’Intérieur a fait plusieurs annonces dans Le Journal du Dimanche.

  • Les contrôles d’usage de stupéfiant(s) seront renforcés. « Nous en avons effectué 800 000 en 2022, soit le double des années précédentes [selon les derniers chiffres publiés par la Sécurité routière, il y en a eu un peu moins de 650 000 en 2021, déjà en forte hausse par rapport aux années précédentes, si bien qu’en 2022 cela a presque doublé par rapport aux années 2019-2020… Mais pas tout à fait non plus]. J’ai donné comme instruction d’en faire 1 million cette année. C’est nécessaire : 16 % (…) se sont révélés positifs [contre 17 % en 2021 et 20 % en 2019] (…). Environ 600 personnes meurent chaque année dans des accidents de la route liés aux stupéfiants. »
  • 12 points retirés en cas de dépistage positif. Le permis pourrait être ainsi retiré pour toute personne qui conduit alors qu’elle a consommé de la drogue, et pour tout consommateur avéré, une visite médicale pourrait être exigée. Ce dernier serait autorisé à conduire seulement s’il se soigne.
  • La création des “homicides routiers”. Gérald Darmanin se dit « en lien étroit avec Éric Dupond-Moretti pour renommer en “homicides routiers” les accidents mortels dus à la drogue et à l’alcool. »

Sur le fait que les dépistages de stupéfiants ne permettent pas de distinguer la quantité de drogue consommée (contrairement à l’alcool), le ministre indique travailler « sur les tests avec des entreprises spécialisées, notamment pour affiner les mesures. »

Sur le problème des utilisateurs de CBD qui peuvent se retrouver positifs aux stupéfiants, alors que cette substance n’est pas considérée comme une drogue, et qu’elle est aujourd’hui complètement licite en France, le ministre n’a pas vraiment répondu à cette problématique.

Enfin, Gérald Darmanin a par ailleurs confirmé que la suppression des retraits de points pour les petits excès de vitesse (moins de 5 km/h) était à l’étude au gouvernement.

Pour Maître Caroline Tichit, tout l’arsenal répressif, décrit par Gérald Darmanin, existe déjà dans le code pénal et le code de la Route…

Caradisiac – Que pensez-vous des mesures envisagées par le ministre de l’Intérieur pour lutter plus efficacement contre les drogues au volant ?

Caroline Tichit – Tout existe déjà ! Dès le premier contrôle, si celui-ci se révèle positif aux stupéfiants, vous risquez la perte de votre permis de conduire. Alors naturellement, pour moi,, cela ressemble davantage à des effets d’annonce aux relents populistes.

Caradisiac – Là ce serait tout de même systématique, avec ce retrait de 12 points dès que vous êtes dépisté positif…

Caroline Tichit – Rappelons les sanctions déjà prévues par les textes. Une conduite après usage de stupéfiant(s) entraîne une perte de six points. Pour certains, qui ne comptabilisent déjà plus que six points ou moins, cela signifie déjà que leur permis sera invalidé, en plus des autres sanctions possibles au tribunal (prison, amende, obligation de soins…).

Caradisiac – On parle là d’une annulation administrative du permis pour solde nul, c’est bien cela ?

Caroline Tichit – Oui. Et dans ce cas, vous ne pouvez pas repasser votre permis avant un délai de 6 mois.

Caradisiac – Et lorsque vous avez plus de 6 points ?

Caroline Tichit – Eh bien, là encore, l’annulation reste possible. C’est au juge d’en décider. Il faut bien comprendre qu’en pareil cas, vous devez d’abord faire face à des sanctions administratives, quasi systématiques : rétention de votre permis, sur-le-champ, plus suspension de celui-ci jusqu’à un an, sur décision du préfet. Après cela, vous serez de toute façon cité à comparaître devant le tribunal pour connaître les sanctions judiciaires à votre encontre. Et là, l’annulation judiciaire de votre permis fait bien partie de la panoplie des sanctions à disposition des magistrats.

Caradisiac – Dans le cas d’une annulation judiciaire, au bout de combien de temps pouvez-vous repasser votre permis ?

Caroline Tichit – C’est au juge de le déterminer. Mais cela peut aller jusqu’à 3 ans. Rendez-vous compte la sévérité des sanctions potentielles déjà prévues par les textes ! Et lorsque vous avez plus d’un an d’annulation, alors il n’y a pas que le code à repasser, c’est tout l’examen avec la conduite qu’il faut refaire. Non seulement, c’est long, mais cela a aussi un coût.

Caradisiac – Les sanctions aujourd’hui peuvent être donc plus sévères, mais aussi l’être moins…

Caroline Tichit – Chaque cas est différent, et c’est la personnalisation de la peine qui est en jeu. Dans le cas d’un accident grave, l’enquête doit justement permettre de bien connaître les circonstances afin que le tribunal puisse se prononcer au mieux sur les mesures à prendre. Ce n’est par exemple pas la même chose d’avoir pris de la drogue juste avant de conduire, comme apparemment c’est le cas dans l’affaire de Pierre Palmade, et d’en avoir consommé 24 ou 48 heures plus tôt. Or, les traces de stupéfiants restent très longtemps dans l’organisme, c’est bien le problème aussi…

Caradisiac – Oui, on a entendu dire de manière abusive « sous l’empire » voire « sous l’emprise » de drogues…

Caroline Tichit – En effet, là, l’infraction, c’est la conduite après usage de stupéfiants. Mais on ne sait jamais quelle quantité il y a exactement, et en fonction, on ne peut pas savoir jusqu’où le conducteur pouvait être affecté par cette prise de drogue. À noter que l’on dit sous l’empire de quelque chose et sous l’emprise de quelqu’un. Cette dernière formulation est donc de toute façon impropre dans notre cas d’espèce.

Caradisiac – Une détention provisoire a été requise par le parquet de Melun à l’encontre de Pierre Palmade, qu’en pensez-vous ?

Caroline Tichit – Sans du tout nier la gravité de la situation, ce qui arrive dans cette affaire est loin d’être banal. Il me semble utile de rappeler que la règle n’est pas la détention provisoire. Celle-ci est exceptionnelle. À ce que l’on a compris, le procureur craint une récidive. Mais Pierre Palmade est tout de même assigné à résidence à l’hôpital, sous bracelet électronique, dans ce contexte, la récidive paraît tout de même peu vraisemblable.

Caradisiac – Pour vous, c’est déjà assez sévère ce qui lui arrive ?

Caroline Tichit – Il est toujours délicat de se prononcer sur une affaire quand on n’a pas forcément tous les éléments, ni accès au dossier pénal. Et en l’occurrence, cet accident est gravissime pour les victimes. J’ai tendance à tout de même penser que la médiatisation de l’affaire pousse les autorités judiciaires à se montrer plus sévères qu’habituellement… Mais encore une fois, des éléments de l’enquête m’échappent peut-être.

Le rappel des faits et ce que l’on sait de l’enquête sur l’affaire Pierre Palmade

Le vendredi 10 février en début de soirée, sur une route départementale de Seine-et-Marne, Pierre Palmade, au volant d’un Peugeot 3008, a brusquement changé de trajectoire et est rentré dans la Renault Mégane, circulant en sens inverse, d’un père de 38 ans, accompagné de son fils de 6 ans et de sa belle-sœur de 27 ans. Un choc frontal très violent aux lourdes conséquences. Le conducteur et son garçon sont toujours hospitalisés en réanimation, dans un état grave. Quant à la jeune femme, enceinte de plus de 6 mois, elle a perdu son bébé. Pour l’heure, l’autopsie réalisée n’a pas permis de déterminer s’il était né vivant, ce qui a son importance pour la caractérisation des poursuites judiciaires : s’il n’est pas né vivant, il n’est pas considéré comme une personne. Il ne s’agirait donc pas d’un homicide mais d’une grave blessure, en l’occurrence involontaire. Sur ce point, une expertise complémentaire a été ordonnée.

Pierre Palmade, soigné à l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif, a tout de même été mis en examen pour « homicide et blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à trois mois par conducteur ayant fait usage de produits stupéfiants commis en récidive légale ». Assigné à résidence pour au moins six mois, il s’est vu poser un bracelet électronique. Le parquet de Melun, qui avait requis son placement en détention provisoire, a fait appel.

Les analyses effectuées montrent que l’humoriste-comédien, positif à la cocaïne et au 3-MMC, une puissante drogue de synthèse, avait fait usage de stupéfiants. Selon BFM, il en aurait pris une demi-heure seulement avant l’accident et aurait refusé de passer le volant. L’artiste n’était pas seul en effet à bord de son véhicule. Les deux passagers repérés par des témoins et ayant pris la fuite après la collision ont été retrouvés et entendus. Ils ont été placés sous le statut intermédiaire de témoin assisté. Le Journal du Dimanche a révélé que l’un d’eux avait été condamné 8 jours avant l’accident, à 12 mois de prison avec sursis de 3 ans assortis d’une interdiction de fréquenter Pierre Palmade, et qu’en 2021, ce dernier avait entendu par la police dans une affaire déjà pour stupéfiants avec les mêmes protagonistes. Il n’avait alors pas été poursuivi.

Dernier rebondissement : Pierre Palmade est aussi visé par une enquête pour « détention d’images à caractère pédopornographique » après le signalement d’un homme entendu ce dimanche par les policiers, révèle Le Parisien ce lundi.

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