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Autoroutes-Péages : du rififi toujours et encore dans l'air !

Les sociétés d'autoroutes sont-elles moyennement ou très fortement rentables ? Figurez-vous que les deux réponses seraient possibles ! Tout dépend de ce que l'on calculerait… Une chose est sûre : les actionnaires actuels de ces sociétés s'en mettent déjà plein les poches. Et l'inflation ne peut leur être que plus profitable ! Voilà en substance ce que l'on peut retenir des deux rapports publics — du régulateur du secteur et du ministère des Finances - qui viennent de sortir sur le sujet.

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À moins d’une semaine d’une hausse historique (+4,75 % en moyenne) des tarifs aux péages autoroutiers, deux rapports viennent jouer les trouble-fêtes : celui de l’Autorité de régulation des Transports (ART) sur l’économie générale des concessions d’autoroutes, rendu public ce jeudi, après plusieurs fuites déjà dans la presse, et celui de l’Inspection générale des Finances (IGF), qui remonte au début 2021, mais déterré par Le Canard enchaîné dans son édition de mercredi… Une vraie bombe !

En effet, dans ce rapport confidentiel sur “le modèle économique des sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA)”, les inspecteurs de l’IGF mettent en évidence, selon l’hebdomadaire satirique, “une rentabilité très supérieure à l’attendu”, de l’ordre de 12 %.

Forcément, après cela, on avait hâte de connaître l’avis du régulateur du secteur, qui, dans son premier rapport publié en 2020, avait tout de même révélé une rentabilité autoroutière certes “favorable mais modérée” !

Une rentabilité “moyenne haute” pour l’ART, mais…

Ce serait-il trompé ? Que nenni, ont répondu en substance les responsables de l’Autorité, ce jeudi, lors d’une conférence de presse.

On parle ici de la rentabilité des seules SCA dites historiques privatisées en 2006, soit ASF, Cofiroute Escota (Vinci), APRR et AREA (Eiffage), puis Sanef et SAPN (Abertis), qui détiennent plus de 90 % du réseau autoroutier.

Et en ce qui les concerne, le taux de rentabilité interne (TRI) s’établit, selon les calculs de l’ART, à 7,8 % en 2021, soit à peine plus que celui mesuré en 2020 et donné à 7,67 %.

Autrement dit, “on est toujours dans une moyenne haute”, précise Florence Rousse. En soi, rien de bien vertigineux…

Mais en fait, cet écart d’appréciation entre les deux institutions pourrait s’expliquer, car ce n’est pas la même chose, semble-t-il, qui aurait été calculée.

De ce que l’ART a compris des révélations portant sur le rapport de l’Inspection de contrôle au ministère des Finances – qu’elle n’aurait elle-même pas reçu et dont elle ignorait jusque-là l’existence – c’est le “TRI actionnaires”, depuis la privatisation 2006, que l’IGF aurait calculé, alors qu’elle, c’est le “TRI projet”, depuis le début des contrats, qui remontent pour certains aux années 70.

D’où son constat : “même des évolutions massives de dépenses et de recettes ne modifient pas substantiellement le TRI, tant qu’elles restent conjoncturelles”.

Elle en veut pour preuve la crise Covid, qui s’est quand même accompagnée d’une baisse de 22 % des trafics autoroutiers en 2020, sans grand impact sur la rentabilité… Une sacrée bonne nouvelle pour les actionnaires actuels !

D’ailleurs, dans son rapport, on peut lire qu’en 2021, les SCA ont versé 3,3 milliards d’euros de dividendes, en augmentation de 5,5 % par rapport à 2019, alors que sur la même période, les investissements réalisés sont restés inférieurs à ceux d’avant la crise sanitaire.

Baisse d’impôts + inflation = tout bénef pour les actionnaires !

Ce que l’on retient de l’étude de l’ART, et qui finalement s’inscrit dans la même logique que celle, semble-t-il, défendue par l’Inspection générale des Finances, c’est que ces contrats de concession procurent aujourd’hui d’importants bénéfices.

En outre, la baisse d’impôt sur les sociétés et l’inflation leur sont particulièrement profitables.

Selon les calculs de l’ART, “la réduction de l’impôt sur les sociétés de 2018 à 2022 représente un gain cumulé de 7,9 milliards d’euros courants pour les SCA historiques”, d’ici la fin des concessions.

La hausse de l’inflation, enregistrée depuis 2 ans, leur procure quant à elle un “gain cumulé de 5,4 milliards d’euros courants”, alors même que la spirale inflationniste est loin d’être encore terminée selon les experts !

C’est logique : comme les tarifs aux péages sont en grande partie indexés sur l’inflation, le chiffre d’affaires augmente plus fortement quand celle-ci est élevée. Or, les charges d’exploitations des concessionnaires n’augmentent pas aussi vite.

D’autant plus que ces charges “ne représentent que 30 %”, rappelle le sénateur centriste Vincent Delahaye, rapporteur de la dernière commission d’enquête sur les autoroutes (en 2020). Avec une inflation à quelque 6 %, l’augmentation des péages aurait donc “normalement dû être de 1,8 %”, avait-il réagi sur Twitter à l’annonce des futures hausses de février.

Vu le contexte, les dividendes ne sont donc pas près de baisser. Les actionnaires sont même d’ores et déjà assurés de leur augmentation d’ici la fin des contrats.

L’option de la rupture anticipée des contrats à nouveau d’actu

Et c’est d’ailleurs parce que cette rentabilité va à l’encontre du “principe de rémunération raisonnable”, que l’IGF a apparemment avancé trois options dans son rapport pour y remédier :

– Option 1 : envisager une rupture anticipée des contrats en 2026. Les ministères des Finances et des Transports ont eu maintes fois l’occasion de répéter leur opposition à cette proposition, notamment parce que selon eux elle coûterait plus 40 milliards d’euros à l’État, alors que si on attend la fin des contrats, les concessions lui reviendront “gratuitement” (ce qui est déjà en partie faux, comme Caradisiac l’a déjà raconté).

– Option 2 : envisager “une baisse (drastique) des tarifs des péages dès 2022”, en particulier de près de 60 % pour les réseaux ASF-Escota et APRR-Area, “ce qui représente une économie de 21 euros environ sur un trajet Marseille-Toulouse ou Paris-Lyon”. Au lieu de cela, rappelons-le, les tarifs ont augmenté de 2 % en 2022, et ils s’apprêtent de nouveau à bondir à près de 5 %…

– Option 3 : le “prélèvement par l’État” de plus de 63 % de l’excédent brut d’exploitation dégagé par les deux groupes concessionnaires les plus rentables sur la période de 2021 à la fin des concessions, soit Vinci et Eiffage, ce qui correspondrait à un apport de plus de 55 milliards d’euros au total, avance Le Canard.

Précision d’importance dans l’article : “Pour les auteurs, la première option est la seule vraiment envisageable”, les deux autres n’étant pas prévus par les textes juridiques.

Une option que l’ART ne veut même pas discuter

C’est ce que défend aussi l’universitaire Jean-Baptiste Vila. “Quand le concessionnaire atteint un bénéfice raisonnable et qu’il parvient finalement aux objectifs fixés à la signature du contrat de concession, ce même contrat perd son objet et devient caduc”.

C’est en tout cas, selon ce professeur de droit public bordelais, ce qui se dessine dans la jurisprudence et la doctrine juridique.

Cela signifierait que cette rupture anticipée des contrats ne s’accompagnerait pas de la somme astronomique (quelque 40 milliards d’euros) à verser aux SCA, en compensation, et systématiquement brandie par ses opposants.

Qu’en pense l’ART ? Celle-ci ayant calculé 7,8 % de TRI, “je ne vois pas le bénéfice déraisonnable qui serait atteint et qui pourrait permettre une interruption des contrats”, rétorque Patrick Vieu, le vice-président de l’Autorité, à Caradisiac. En outre, “je ne pense pas qu’une telle règle juridique existe”.

Peut-être qu’une réunion avec les auteurs du rapport de la mission de l’IGF et Jean-Baptiste Vila à l’ART serait-elle opportune ? À la fin de la conférence de presse, une telle perspective ne semblait toutefois pas gagner…

Avec son nouveau rapport, l’ART souhaite surtout alerter sur l’échéance de la fin des contrats qui doit se préparer et sur son rôle d’éclaireur qu’elle compte bien continuer de jouer, afin d’ouvrir “la réflexion sur l’avenir du réseau autoroutier concédé”.

300 millions d’euros gagnés pour les usagers, grâce à l’ART

Vu “l’ampleur des chantiers à conduire pour préparer” cette fin des contrats principaux, prévue entre 2031 et 2036, il y a “urgence” à s’y mettre, a défendu Philippe Richert, le président par intérim de l’Autorité (depuis le départ de Bernard Roman l’été dernier).

D’ici-là, il faut “recenser l’ensemble des investissements pour s’assurer qu’ils aient bien été réalisés”, détaille-t-il.

Il ne manquerait plus qu’on se rende compte en effet que des travaux négociés par les autoroutiers, et qui ont donné lieu en compensation à des hausses additionnelles aux péages et/ou des allongements de la durée des contrats, n’aient en fait pas été effectués.

Il faut “définir clairement la notion de bon état pour les biens de retour afin de chiffrer les travaux associés à mettre en œuvre”, a-t-il poursuivi, ainsi que, bien évidemment, instaurer un “plan de continuité du service”.

L’ART a aussi rappelé combien ses avis avaient aidé l’État à mieux négocier avec les autoroutiers, ce qui a également permis d’obtenir des ristournes substantielles, favorables aux usagers, qui auraient eu sinon à payer bien plus aux péages.

En cumulé, depuis que l’Autorité est devenue le régulateur du secteur en 2015, les nouveaux investissements qui lui ont été soumis correspondent à “une hausse de péages de plus de 2 milliards d’euros”, a récapitulé sa vice-présidente, Sophie Auconie.

Et là-dessus, pour les usagers, ce sont “plus de 300 millions d’euros économisés” grâce à sa contre-expertise.

Ses avis rendus sur les projets d’avenants aux contrats de concession ne sont que consultatifs, l’État n’a donc pas d’obligation à les suivre. D’ailleurs, il ne les suit généralement que partiellement.

Mais cela veut dire aussi que certaines recommandations de l’ART ont bel et bien été respectées… Et donc suivies d’effet !

L’État a su corriger le tir pour 58 % d’entre elles quand elles touchent à la rémunération du concessionnaire, jugée trop élevée par l’ART.

Et pour 42 % des cas, cela concerne des aménagements pour lesquels l’ART a su démontrer qu’ils étaient déjà prévus aux contrats… Manquerait plus que les usagers les paient deux fois !

Enfin, sur la transition écologique, l’ART considère qu’un grand plan devrait être rapidement mis en œuvre.

Mais attention : si ces “questions sont cruciales”, il ne faudrait pas que l’État songe à les faire financer par les actuelles SCA, en contrepartie d’un nouvel allongement des contrats.

Tiens, tiens… Parce que potentiellement, c’est ce qui pourrait se tramer en coulisses ?

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