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Faut-il abolir le permis de conduire à vie ?

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Faut-il abolir le permis de conduire à vie ?

Ses deux clips de sécurité routière ont été vus 500 000 fois au total. Et sa pétition pour un « contrôle obligatoire de l’aptitude à la conduite pour tous les conducteurs » a recueilli 138 000 signatures. Pauline Déroulède, championne de tennis handisport, s’investit à fond dans sa campagne contre le permis à vie. Non sans raison personnelle : en 2018, à 27 ans, elle a été fauchée par un conducteur de 92 ans qui avait perdu la maîtrise de son véhicule. La jeune femme, amputée d’une jambe, lance alors un débat sensible : elle souhaiterait qu’un contrôle médical soit régulièrement imposé aux automobilistes, pour s’assurer que certaines personnes à risque ne puissent plus se mettre derrière un volant. Des tests qui pourraient toucher beaucoup de personnes : les 75 ans et plus représentaient 9,5 % de la population en 2021 – et même 18 % en 2070, selon l’Insee. Par ailleurs, des maladies dégénératives peuvent frapper tôt dans l’existence, et la baisse de la vue commence dès 40-45 ans – ce qui peut provoquer des conduites dangereuses.

De nombreux pays d’Europe conditionnent déjà le maintien du permis à un examen médical régulier. Mais la France est l’un des rares où le permis est donné à vie, sans mise à jour ou vérification de l’état des conducteurs, à de rares exceptions près, comme les personnes atteintes de diabète. Bien sûr, la question d’un permis révocable est épineuse pour l’exécutif. D’abord parce qu’imposer un examen à 40 millions d’automobilistes a un coût. Mais aussi et surtout parce que si des moyens de transport alternatifs existent généralement en centre-ville, la vie quotidienne exige en revanche souvent la voiture dans les zones rurales ou périphériques. Et toute limitation en la matière pourrait faire naître un sentiment de stigmatisation.

Pauline Déroulède : « Les Français sont prêts à une telle mesure »

Sportive paralympique, Pauline Déroulède est militante de la Sécurité routière. (FLORIAN LÉGER PHOTOGRAPHE & VIDÉASTE)

Vous réclamez l’abolition du permis à vie et l’instauration de visites médicales régulières. Pourquoi ?

Il existe un contrôle technique des véhicules, alors pourquoi pas des conducteurs ? Je propose effectivement un contrôle médical obligatoire pour tous, pas uniquement les plus âgés, avec un intervalle diminuant selon l’âge : par exemple, tous les dix ans pour l’ensemble des conducteurs, tous les deux ans après 70 ans et chaque année à partir de 80 ans. Ce n’est pas un gros mot de le dire : l’âge est l’un des facteurs qui peuvent altérer l’aptitude à la conduite. Mais avant 70 ans, il peut y avoir une maladie dégénérative ou la vue qui baisse. Il faut nous assurer que tous les sens nous permettant d’être aptes au volant fonctionnent bien.

En 2020, la déléguée interministérielle à la Sécurité routière d’alors jugeait l’expérience des pays ayant mis en place ce genre de mesure non probante…

Dans ces pays, le contenu de l’examen, peu travaillé, laisse généralement à désirer, c’est vrai. Il s’agit plutôt d’une formalité avec un simple examen de la vue, ce qui n’est pas très concluant. Mais c’est un début. Il faudrait former l’ensemble de nos médecins généralistes à poser un diagnostic clair et efficace le temps d’une visite, notamment sur le temps de réaction. Cette formation serait le plus grand chantier, et aurait un coût bien évidemment. Mais cela en vaut la peine. Vous savez, l’automobiliste qui m’a fauchée savait bien qu’il n’était plus apte, mais il n’arrivait pas à s’arrêter : s’il y avait eu une loi, il aurait cessé de conduire. Actuellement, tout relève de la responsabilité individuelle, or quel recul avons-nous sur nous-même ? Et dans les familles – beaucoup m’écrivent – il est difficile d’empêcher une personne âgée de conduire. C’est très culpabilisant pour les familles d’avoir ce « mauvais » rôle.

Que répondent les pouvoirs publics à vos propositions ?

La question est sensible, comme tout ce qui touche à la voiture, sacrée en France, on l’a vu avec les difficultés du 80 km/h sur les routes secondaires, puis avec le rejet du 110 km/h sur autoroute. Le grand défi, pour qu’une loi réformant le permis de conduire aboutisse, c’est la mise en place d’une nouvelle mobilité, de solutions alternatives : des moyens de déplacement pour ceux qui ne pourraient plus conduire, comme le transport à la demande. Des expérimentations de navettes sont en cours, notamment en Bretagne et en Vendée. Cela fait maintenant trois ans que je mène ce combat, je sens une écoute de la part du gouvernement, mais il y a le coût de la mesure. Et puis, il est sous pression, d’autant que la population de notre pays est vieillissante. Les autorités pensent que les Français ne sont pas prêts à accueillir une mesure comme celle-ci, mais c’est faux : je suis convaincue qu’ils le sont.

Pierre Chasseray : « Penser que les seniors sont dangereux relève d’une impression »

Pierre Chasseray est délégué général de l’association 40 Millions d’automobilistes. (DOC OBS)

Que pensez-vous de la campagne en faveur d’un examen médical obligatoire d’aptitude pour conserver le permis de conduire ?

Regardons les pays qui l’imposent à partir d’un certain âge : les Pays-Bas, à 75 ans ; la République tchèque, à 65 ans ; le Danemark et la Finlande, à partir de 70 ans ; la Grèce à partir de 65 ans. Dans tous ces pays, cette mesure n’a pas permis d’obtenir de résultats mesurables en termes de sécurité routière. Regardons ensuite le pourcentage d’accidents selon la tranche d’âge : les 65 ans et plus représentent 17 % des accidents, selon l’Observatoire national interministériel de la Sécurité routière [chiffres 2017], c’est-à-dire plutôt moins que les autres tranches. Penser que les seniors sont dangereux relève seulement d’une impression. Quant à la proposition de Pauline Déroulède de mettre en place un test d’aptitude, quel que soit l’âge, ce serait extrêmement coûteux pour la société. Et cela nécessiterait d’instaurer un contrôle médical, ce que les syndicats professionnels des médecins refusent : ils ont donné un non catégorique à cette idée évoquée au Conseil national de la Sécurité routière. Ils ne pourraient pas exactement refuser si cela était imposé, mais vous imaginez bien qu’un médecin qui traite un patient traite aussi un client : il serait sans doute délicat de le priver du droit à la conduite…

L’âgisme, cette discrimination silencieuse qui pèse sur les personnes âgées

Comment alors réduire le risque de conducteurs inaptes à prendre le volant ?

Dans notre association 40 Millions d’automobilistes, nous proposons la mise en place, lors du renouvellement du permis de conduire européen tous les quinze ans, d’un examen de vue : au volant, il est clair que la vue, c’est la vie. Ce contrôle pourrait être effectué chez un ophtalmologue ou chez un opticien. J’ai évoqué l’idée devant des représentants d’opticiens, ils trouvent l’idée excellente et seraient prêts à le proposer gratuitement. Cette mesure ne coûterait rien à personne et permettrait une prise de conscience, parce que quelqu’un découvrant sa mauvaise vue ira consulter – même si, pour nous, il doit voir son permis renouvelé quoi qu’il arrive. Cette sensibilisation serait plus intelligente que ce que font nos voisins européens.

Que faire si une personne qui n’est objectivement plus en état de conduire persiste à prendre le volant ?

Il existe déjà la possibilité pour les familles de saisir une commission médicale pour supprimer le permis de conduire d’une personne objectivement inapte. Il est peu utilisé, mais ce n’est pas parce qu’un recours n’est pas utilisé qu’il n’existe pas. A la limite, on pourrait communiquer sur cette possibilité pour que les familles prennent leurs responsabilités. Si quelqu’un dans notre entourage n’est objectivement plus en état de conduire, c’est notre responsabilité d’enfant, de petit-enfant, de réagir.

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