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Ce qu’il faut savoir sur l’autorisation des "méga-camions" dans l’UE

Le Parlement européen a ouvert la voie à la circulation des “méga-camions” dans l’UE, le 12 mars 2024.

Le Parlement européen a voté, mardi, une résolution ouvrant la voie à la circulation à travers l’Union européenne des “méga-camions”. L’expansion de ces transports routiers XXL, déjà autorisés depuis des années dans plusieurs pays, notamment en Suède, aux Pays-Bas ou en Allemagne, soulève désormais des inquiétudes concernant leur impact sur l’environnement et sur les routes européennes.

Feu vert pour les “méga-camions” sur les routes de l’UE. Le Parlement européen a ouvert la voie, mardi 12 mars, à la circulation de ces transports routiers. Quelque 330 députés ont voté pour, 207 contre et 74 se sont abstenus pour adopter la révision de la directive “Poids et dimensions” visant à faciliter le déplacement des camions dans les États membres. France 24 fait le point sur les enjeux autour de ce vote et sur ce que sont ces “méga-camions” clivants au sein des eurodéputés.

  • Qu’est-ce qu’un “méga-camion” ?

Aussi nommé “mega-truck”, “gigaliner” ou encore “écocombi”, le “méga-camion” est un transport routier XXL par rapport à un camion classique. La loi française limite actuellement la taille d’un poids lourd à 18,75 mètres et à 44 tonnes maximum, tandis que le “méga-camion” – avec deux remorques embarquées – peut mesurer jusqu’à 25,25 mètres et transporter jusqu’à 60 tonnes de marchandises.

“Ces méga-camions viennent de pays comme l’Australie qui ont une très faible densité de population et des très grandes distances parcourables” pour transporter les marchandises, explique Cédric Philibert, chercheur associé au centre énergie et climat de l’Ifri et qui a travaillé pendant vingt ans à l’Agence internationale de l’énergie (AIE). “Dans ces pays, il y a une certaine rationalité à avoir quasiment des trains roulants avec ces ‘méga-camions’, parce qu’ils n’ont pas de trains du tout et que faire une ligne de chemin de fer, par exemple, entre Brisbane à Perth serait un chantier titanesque.”

Outre l’Australie, ces mastodontes de la route sont aussi déjà répandus aux États-Unis ainsi qu’au Canada. Avec un réseau routier et autoroutier parmi les plus étendus au monde, ces deux pays offrent des infrastructures immenses et propices à la circulation des “méga-camions”. Leur maillage est aussi différent à celui en place dans l’UE, où la longueur totale du réseau routier européen global représentait environ 136 700 km en 2020, selon la Cour des comptes européenne.

  • Ce que change (ou pas) le vote du Parlement européen

Le débat sur le déploiement des “méga-camions” dans l’UE n’est pas nouveau : plusieurs pays européens les autorisaient déjà, en 2013, à circuler sur leur territoire national – à l’instar de la Suède, de la Finlande, des Pays-Bas, du Danemark, de l’Allemagne et de la Belgique. L’Espagne et le Portugal ont aussi rejoint la liste ces dernières années. Des pays, au contraire, interdisent ces camions XXL sur leur territoire depuis des années – la France en tête de file, ainsi que le Luxembourg et la Suisse (hors-UE).

Dans l’Hexagone, les “méga-camions” ne sont pas les bienvenus depuis des années : bien que les autorités publics aient songé à lancer des expérimentations, elles n’ont finalement jamais été menées en raison de vives oppositions – dont celle de l’association France nature environnement engagée contre l’implantation des “gigaliners” en France depuis plus de dix ans.

Le texte adopté mardi par le Parlement européen va plus loin, notamment sur les conditions de circulation transfrontalières des “méga-camions”. Jusqu’à maintenant, il fallait un accord entre deux pays de l’UE pour que ces poids lourds traversent la frontière. Les “gigaliners” étrangers peuvent dorénavant circuler automatiquement sur les routes d’un État membre – sous réserve qu’il ait autorisé préalablement les “méga-camions” sur son territoire national.

Mais cela devra se faire aux conditions de l’État membre. Si, par exemple, un pays consent une longueur de 25 mètres et un poids de 48 tonnes et que le pays riverain autorise 25 mètres et 50 tonnes, les camions en provenance du pays riverain ne pourront pas dépasser 48 tonnes, comme l’explique le média Contexte.

Reste que ce texte n’oblige pas tous les États de l’UE à autoriser la circulation des “méga-camions” sur leur territoire. Après le vote, Paris a “redit son refus d’une libéralisation de la circulation internationale des camions de 44 tonnes et des ‘mégatrucks’”, comme l’a écrit sur X le ministre français délégué aux Transports, Patrice Vergriete.

La révision adoptée le 12 mars n’est pas l’étape finale du processus législatif : les États membres se retrouvent lors d’un Conseil européen en juin où ils auront l’occasion d’adopter une position nationale sur le sujet. Puis la prochaine assemblée parlementaire élue après les européennes aura la charge de mener des négociations pour finaliser le texte.

  • L’impact environnemental des “méga-camions”

Transporter plus de marchandises avec moins de camions, et donc moins de trajets : l’équation semble gagnante d’un point de vue économique, et c’est ce qu’a d’ailleurs mis en avant mardi par la rapporteure espagnole Isabel García Munoz (socialiste). Les “méga-camions” pourraient transporter 50 à 75 % de marchandises en plus par rapport aux camions actuels. Cela réduirait ainsi d’environ 1,2 % les émissions de CO2 du transport de marchandises entre 2025 et 2050, tout en faisant économiser 45 milliards d’euros aux transporteurs sur la même période.

“On voit bien la rationalité économique de ce vote, mais cela ne va pas du tout dans le sens d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur des transports routiers”, estime Cédric Philibert.

Le déploiement massif des “méga-camions” dans l’UE pourrait, en effet, avoir des conséquences environnementales certaines : la mesure entraînerait 10,5 millions de trajets en plus sur les routes européennes chaque année, soit 6,6 millions de tonnes de CO2 émises en plus, selon une étude menée par le cabinet allemand D-Fine pour le compte de la Communauté européenne du rail (CER).

Une croissance des émissions de gaz à effet de serre (GES) qui entrerait en contradiction avec le Pacte vert pour l’Europe, qui ambitionne de réduire les émissions nettes de GES d’au moins 55 % d’ici à 2030.

Selon Cédric Philibert, “on devrait privilégier le trafic ferroviaire sur ce type de trajet – et on sait déjà le faire – où l’on transporte des grandes masses de marchandises d’un point de centralisation à un autre”.

Les acteurs du rail et les associations déplorent aussi ce choix stratégique de favoriser le routier au détriment du fret, à l’image de France nature environnement qui affirmait déjà avant le vote qu’”un train vaut mieux que 20 méga-camions”. Selon l’étude de D-Fine, le recours accru aux “méga-camions” ferait aussi diminuer de 21 % le fret ferroviaire – pourtant moins polluant et moins dangereux que le transport routier.

Actuellement, plus de 50 % du fret européen est transporté par route et les poids lourds génèrent 6 % des émissions totales de gaz à effet de serre de l’UE.

  • L’impact des “méga-camions” sur les infrastructures

Outre l’impact écologique des “gigaliners”, la place qui leur sera accordée sur les routes européennes pose aussi question. Ces camions XXL sont calibrés pour se déplacer sur les autoroutes, mais la tâche pourrait rapidement se compliquer en-dehors des axes routiers majeurs.

“Les méga-camions ne sont pas calibrés pour le réseau de transport européen, seulement pour les autoroutes et pour aller d’une plateforme d’échange à une autre”, explique Cédric Philibert. Le spécialiste des transports ne voit pas ces “gigaliners” assurer le même rôle que des camions de 19-20 tonnes “qui peuvent se déplacer sur tous les types de routes.”

Et il poursuit : “On aurait plutôt affaire à des camions de la taille de convois spéciaux un peu partout, qui pourraient vite se retrouver bloqués ou rencontrer des difficultés de déplacement hors des grands axes.”

En cas d’autorisation des “méga-camions”, un pays comme la France pourrait rapidement rencontrer des soucis d’infrastructures pour le déplacement de ces mastodontes de la route : l’Hexagone occupe notamment la première place mondiale avec près de 43 000 ronds-points sur son territoire. Et une partie de ces carrefours à sens giratoire pourraient vite être trop petits pour le passage de camions de 25 mètres.

De manière plus générale, les “gigaliners” pourraient endommager plus rapidement les infrastructures routières que les camions de plus petite taille moins chargés : D-Fine pointe “un risque considérable” que les charges au niveau des essieux augmentent et “entraînent une détérioration disproportionnée” des routes. “10 camions de 44 tonnes sont plus dommageables que 15 camions de 40 tonnes”, ajoute-t-il.

Au total, l’entretien des infrastructures routières pourrait coûter 1,15 milliard d’euros supplémentaire de dépenses publiques en plus par an aux États membres où rouleraient les “méga-camions”. Plus de marchandises transportées, mais pas de méga-économies finalement réalisées.

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