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En Ukraine, l’attente insoutenable des familles de prisonniers

en ukraine, l’attente insoutenable des familles de prisonniers

Maria Tchernykina tient le portrait de son frère, Oleh Netchaiev, fait prisonnier à Marioupol en avril 2022.

Dans deux jours, l’Ukraine entrera dans sa troisième année de guerre à grande échelle avec la Russie. En vingt-quatre mois, l’invasion russe a fait des dizaines de milliers de morts et de blessés, civils et militaires. Plusieurs milliers de soldats ont aussi été faits prisonniers. En deux ans, 3315 soldats ukrainiens captifs ont pu revenir dans leur pays, selon Kiev. Une goutte d’eau pour les familles qui attendent le retour de leurs proches.

De notre envoyée spéciale à Kiev,

Depuis sa fuite de Mélitopol, occupée par la Russie, Maria Tchernykina loue un appartement dans une cité dortoir de la capitale ukrainienne. Elle y élève quatre enfants, âgés de 5 à 11 ans, les deux siens et ceux de son frère Oleh Netchaiev. Ce dernier a été capturé par les Russes à Marioupol en avril 2022. Son épouse est allongée dans l’une des chambres, elle a un cancer métastatique, mais Oleh, qui était chauffeur au sein des forces navales, n’est pas au courant de l’état de santé de sa femme car la maladie s’étant déclarée après qu’il a été fait prisonnier, comme 250 autres membres de son bataillon. À ce jour, seule une vingtaine d’entre eux a pu rentrer au pays.

« Pourquoi, au bout de deux ans, n’a-t-il toujours pas été échangé ? Je n’en sais rien », se désole sa soeur Maria Tchernykina dans sa cuisine. « Mon frère est un marin ordinaire, il était chauffeur. Qu’est-ce qu’ils peuvent obtenir de lui ? Je ne sais pas pourquoi il est toujours là-bas. Sa femme n’a pas le temps d’attendre. Mon rêve est que mon frère revienne pendant qu’elle est toujours en vie. »

La jeune femme remue ciel et terre pour tenter de faire inscrire son frère sur la liste des prisonniers à échanger en priorité : lettres au président ukrainien Volodymyr Zelensky, au directeur du renseignement militaire Kyrylo Budanov, au défenseur des droits, visites aux associations d’aide aux familles de prisonniers. Elle a même rencontré le nonce apostolique. Sans résultat. Elle écume aussi les réseaux sociaux russes à la recherche du moindre indice, de la moindre photo, contacte les prisonniers rentrés au pays et recueille quelques bribes d’informations, comme ce message vocal reçu d’un soldat échangé, qui lui raconte qu’il a passé deux jours dans la même cellule que son frère en décembre 2022. « Il a été emmené à Koursk, comme nous, en vue d’un échange, mais le 31, quand on nous a fait lever, il a été le seul à rester dans la cellule. » L’information lui a été confirmée par un deuxième ancien prisonnier de guerre. Depuis, la famille n’a plus de nouvelle. « Les gars ne donnent pas beaucoup de détails sur les conditions de détention, soit parce qu’ils n’en n’ont pas le droit, soit pour ne pas nous inquiéter », avance Maria.

Seulement 160 civils revenus de Russie en deux ans

Le mari d’Olena Dobycha, Serhi, 41 ans a, lui, pu rentrer de captivité le 3 janvier. Il avait été fait prisonnier en avril 2022, après avoir défendu l’immense usine métallurgique Illitch de Marioupol. Fondatrice de Polygon 56 Berdiansk, du nom de la ville où elle s’était installée en 2014 après avoir fui Donetsk et qu’elle a dû abandonner du fait de l’occupation russe d’une partie de la région de Zaporijia, Olena Dobycha vient en aide aux familles de prisonniers de guerre ukrainiens et accueille ceux qui sont libérés. « Lorsqu’ils rentrent, raconte-t-elle, ils sont transparents, tant ils ont maigri. Mon mari pesait 110 kg mais lorsqu’il est revenu, il faisait moins de 60 kg. Il a subi plusieurs opérations depuis son retour et il est toujours en cours de traitement. » Elle évalue le nombre de militaires prisonniers en Russie à plus de 20 000. « Au train où s’effectuent les échanges de prisonniers, on en a encore pour dix ans. »

Si les familles de prisonniers ont souvent le sentiment d’être peu entendues par autorités, la situation des civils retenus en Russie est encore plus délicate. Lors du dernier échange de prisonniers, début février, aucun civil n’y figurait. Le Centre ukrainien pour les libertés civiles, lauréat du prix Nobel 2022, possède une liste de 1 600 noms de personnes enlevées dans les territoires ukrainiens occupés et emprisonnées en Russie. Un chiffre largement sous-évalué, selon Mykhailo Savva, membre du conseil d’experts de l’association, qui avance le chiffre de 7 000 civils détenus en Russie. « Les autorités russes ne permettant pas au Comité international de la Croix-Rouge de visiter les lieux où sont détenus ces civils. Notre association en a dénombré 57 et c’est sans compter les lieux de détention non-officiels. » En deux ans, seules 160 personnes ont pu être ramenées de Russie, selon Mykhailo Savva, qui regrette l’absence de stratégie des autorités pour accélérer le retour des prisonniers civils en Ukraine.

À Kiev, Maria Tchernykina s’apprête à aller manifester dimanche avec les autres familles de détenues. Elle a fait fabriquer des posters avec la photo de son frère et des appels à sa libération, en anglais, allemand et ukrainien. L’inquiétude ne la quitte pas : « il y a des personnes qui sont en captivité en Russie depuis 2014. Lors du dernier échange, il y avait un homme qui y était depuis 2015. En quatorze mois, de notre bataillon, il n’y en a qu’un seul qui est rentré », soupire la jeune mère de famille, « nous n’avons aucune garantie qu’il rentrera vivant ».

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