Maria Tchernykina tient le portrait de son frère, Oleh Netchaiev, fait prisonnier à Marioupol en avril 2022.
De notre envoyée spéciale à Kiev,
Depuis sa fuite de Mélitopol, occupée par la Russie, Maria Tchernykina loue un appartement dans une cité dortoir de la capitale ukrainienne. Elle y élève quatre enfants, âgés de 5 à 11 ans, les deux siens et ceux de son frère Oleh Netchaiev. Ce dernier a été capturé par les Russes à Marioupol en avril 2022. Son épouse est allongée dans l’une des chambres, elle a un cancer métastatique, mais Oleh, qui était chauffeur au sein des forces navales, n’est pas au courant de l’état de santé de sa femme car la maladie s’étant déclarée après qu’il a été fait prisonnier, comme 250 autres membres de son bataillon. À ce jour, seule une vingtaine d’entre eux a pu rentrer au pays.
La jeune femme remue ciel et terre pour tenter de faire inscrire son frère sur la liste des prisonniers à échanger en priorité : lettres au président ukrainien Volodymyr Zelensky, au directeur du renseignement militaire Kyrylo Budanov, au défenseur des droits, visites aux associations d’aide aux familles de prisonniers. Elle a même rencontré le nonce apostolique. Sans résultat. Elle écume aussi les réseaux sociaux russes à la recherche du moindre indice, de la moindre photo, contacte les prisonniers rentrés au pays et recueille quelques bribes d’informations, comme ce message vocal reçu d’un soldat échangé, qui lui raconte qu’il a passé deux jours dans la même cellule que son frère en décembre 2022. « Il a été emmené à Koursk, comme nous, en vue d’un échange, mais le 31, quand on nous a fait lever, il a été le seul à rester dans la cellule. » L’information lui a été confirmée par un deuxième ancien prisonnier de guerre. Depuis, la famille n’a plus de nouvelle. « Les gars ne donnent pas beaucoup de détails sur les conditions de détention, soit parce qu’ils n’en n’ont pas le droit, soit pour ne pas nous inquiéter », avance Maria.
Seulement 160 civils revenus de Russie en deux ans
Le mari d’Olena Dobycha, Serhi, 41 ans a, lui, pu rentrer de captivité le 3 janvier. Il avait été fait prisonnier en avril 2022, après avoir défendu l’immense usine métallurgique Illitch de Marioupol. Fondatrice de Polygon 56 Berdiansk, du nom de la ville où elle s’était installée en 2014 après avoir fui Donetsk et qu’elle a dû abandonner du fait de l’occupation russe d’une partie de la région de Zaporijia, Olena Dobycha vient en aide aux familles de prisonniers de guerre ukrainiens et accueille ceux qui sont libérés. « Lorsqu’ils rentrent, raconte-t-elle, ils sont transparents, tant ils ont maigri. Mon mari pesait 110 kg mais lorsqu’il est revenu, il faisait moins de 60 kg. Il a subi plusieurs opérations depuis son retour et il est toujours en cours de traitement. » Elle évalue le nombre de militaires prisonniers en Russie à plus de 20 000. « Au train où s’effectuent les échanges de prisonniers, on en a encore pour dix ans. »
À Kiev, Maria Tchernykina s’apprête à aller manifester dimanche avec les autres familles de détenues. Elle a fait fabriquer des posters avec la photo de son frère et des appels à sa libération, en anglais, allemand et ukrainien. L’inquiétude ne la quitte pas : « il y a des personnes qui sont en captivité en Russie depuis 2014. Lors du dernier échange, il y avait un homme qui y était depuis 2015. En quatorze mois, de notre bataillon, il n’y en a qu’un seul qui est rentré », soupire la jeune mère de famille, « nous n’avons aucune garantie qu’il rentrera vivant ».