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REPORTAGE. «L’activité quadruplée en trois ans » : En Suède, l’industrie de l’armement en plein boom

reportage. «l’activité quadruplée en trois ans » : en suède, l’industrie de l’armement en plein boom

Des soldats suédois équipés de lance-roquette antichar AT4 produits par Saab Dynamics à Karlskoga.

Moins connu pour son industrie de la défense que pour ses forêts ou ses meubles à assembler soi-même, la pacifique Suède, nouveau membre de l’Otan, est quand même le 13e exportateur d’armes au monde. L’épicentre de son industrie de l’armement se trouve à Karlskoga.

Costume impeccable, un anglais qui l’est tout autant, Michael Höglund traverse le lobby tout en débitant la présentation bien rodée de l’équipementier militaire Saab. Dans le hall, sur une estrade illuminée par des spots, des ogives brillent aux côtés de leurs lanceurs : des canons sans recul Carl Gustav et des missiles anti-char NLAW. « Bien sûr, vous pouvez toucher », invite l’ingénieur de formation et désormais responsable des produits « combat terrestre » de Saab.

Une production 24 heures sur 24

Au centre du lobby, une table haute et massive, en pierre sombre, est barrée d’une citation d’Alfred Nobel, inventeur de la dynamite et dont le nom est surtout connu pour son célèbre prix : « Si j’ai mille idées et qu’une d’entre elles s’avère être bonne, je suis comblé ». Les 30 000 habitants de Karlskoga tirent leur fierté d’Alfred Nobel, fondateur des usines locales d’armement qui assure la prospérité de cette ville-usine nichée à mi-chemin entre Stockholm et Oslo. C’est là que Bofors, célèbre fabricant de canons, de poudre à canon et d’explosifs désormais sous contrôle de Saab Dynamics et BAE Systems, a établi son siège historique au XVIIe siècle.

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Des affiches font la promotion du quartier en cours de construction au bord du lac de Karlskoga.

Le laboratoire et la maison de Nobel jouxtent l’entrée du site de l’entreprise franco-suédoise Eurenco, spécialiste des explosifs, propulseurs et combustibles militaires. « Depuis l’invasion [de l’Ukraine par la Russie], les choses ont fondamentalement changé ici», assure le directeur de l’usine où sont produites les poudres et les charges pour les obus de 155 mm, dont l’Ukraine demande désespérément la livraison pour lutter contre l’invasion russe. En trois ans et demi, le nombre d’employés a presque doublé pour atteindre 400 salariés. La production est sans interruption, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Mais cela ne suffit pas à combler la demande actuelle. Pour y répondre, Eurenco prévoit d’agrandir ses infrastructures et de recruter de nouveaux employés. « Nous prévoyons de tripler notre production sur les quatre prochaines années », promet Daniel Rydén.

Le boom des importations d’armes

 Ma première décision en arrivant à Karlskoga a été de licencier un tiers des ouvriers », se souvient Görgen Johansson, directeur de la branche locale de Saab. Dix ans plus tard, il n’a pas à rougir de son succès. Pour l’année 2024, il prévoit de recruter 800 nouvelles personnes pour atteindre un effectif de 4 800 employés. « En trois ans, nous avons quadruplé notre activité. Cette tendance va se poursuivre pendant encore 5 à 10 ans», assure-t-il. Et pour cause, les chiffres des dépenses militaires mondiales donnent le vertige. Entre 2019 et 2023, les importations d’armes des États européens ont connu une hausse spectaculaire de 94 % par rapport à la période 2014-18 selon le SIPRI. Rien qu’en Suède, le gouvernement conservateur a pris la décision d’accroître de 28 % les dépenses militaires en 2023.

Un déclin oublié

Déjà pénalisé par le manque de matières premières (la poudre est rare, par exemple) qui freine la production, Karlskoga recherche aussi désespérément des ingénieurs et des spécialistes. « Nous devons accroître l’attractivité de la ville pour faire venir les cadres. Je suis vraiment reconnaissant des efforts menés par la commune sur ce point. C’est la marche à suivre », garde espoir Michael Höglund. Et le message a bien été reçu par Tony Ring. Au volant de la voiture marquée du blason de la commune, deux canons croisés, le maire du parti Modéré (conservateur) déboule à toute vitesse dans les différents quartiers qui sortent de terre. « Ce bâtiment, ça sera une nouvelle crèche. Là, on va avoir un nouveau lycée… », abonde l’ancien pilote automobile originaire de la ville en pointant du doigt tout en conduisant. Il espère pouvoir attirer 2 000 nouveaux habitants d’ici la fin de l’année prochaine. « Cette chance de faire renaître Karlskoga, c’est grâce à la réussite des industries», affirme l’édile en longeant la bordure extérieure de sa commune en pleine expansion. Le déclin de l’industrie de défense des années 1990 et au début des années 2000 est bien oublié.

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Michael Höglund, un ingénieur de Saab passé communicant de Saab et de ses 2 500 employés (+13 % entre 2022 et 2023).

Une campagne de marketing qui agace

Ellen fait partie des nouvelles recrues de Saab. Elle travaillait il y a encore quelques mois pour la ville de Karlskoga. La chargée de communication de l’équipementier raconte sans fard comment les regards sur l’industrie de l’armement ont évolué : « Pendant mes études, je rentrais à Karlskoga l’été pour travailler dans l’industrie. Mes amis me demandaient : mais comment tu peux cautionner ce qu’ils font ? Ils fabriquent des armes…». Pas peu fière, elle assure que ces mêmes amis la remercient désormais d’aider les Ukrainiens à se défendre. « Je pense que les gens ont une meilleure vision de notre travail et il faut continuer à promouvoir ce que nous faisons ». En clair : « Garder les gens et la société en sécurité » comme le promet Saab sur tous ses supports de communication.

Cette campagne de marketing (d’un coût de 2,73 milliards de couronnes soit 243 millions d’euros, en 2023) agace Linda Åkerström, spécialiste de l’industrie de l’armement à l’organisation pacifiste centenaire Svenska Freds. « Saab fait sa publicité en montrant des couples LGBT et joue sur la protection de la démocratie tout en exportant des armes à des pays comme les Émirats arabes unis, connus pour leurs violations des droits de l’homme. » Selon ses calculs, 36 % des armes vendues par Saab sont à destination de pays « non-démocratiques ». De quoi ulcérer le militant dont l’organisation vient de se voir amputée d’une subvention gouvernementale qu’elle recevait depuis près d’un siècle.

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