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Aston Martin DB4 GT Zagato Continuation : Métal précieux

Chère nouveauté du passé

aston martin db4 gt zagato continuation : métal précieux

Dans les années 50, du temps où l’industriel David Brown possédait Aston Martin, il fut appelé par un client désireux d’acheter une nouvelle DB5 en tentant d’en négocier l’addition à la baisse. Lorsque ce dernier lui demanda s’il pouvait acquérir sa DB5 à prix coûtant, David Brown lui répondit ceci : « Pour vous, ce sera 1 000 £ plus cher que le prix affiché ! »

Les temps changent, assurément. Sept décennies plus tard, Aston Martin produit à nouveau ces modèles “DB” à Newport-Pagnell, dans des séries ultra-limitées baptisées “Continuation”. D’abord en 2016 avec 25 exemplaires de la fabuleuse DB4 GT, puis en 2019 avec 19 exquises DB4 GT Zagato. Après elles, Aston Martin produira 25 DB5 “Goldfinger” flambant neuves (pas celle de James Bond que nous avons essayée). Et la marque prépare déjà d’autres projets du même genre.

J’ignore comment David Brown aurait manœuvré en pilotant ce fameux projet “Continuation” dans notre monde actuel, mais je pense qu’il ne remettrait pas en cause la nouvelle politique tarifaire. La DB4 GT Zagato se positionne en effet comme la nouvelle voiture la plus chère du monde (si l’on excepte les exemplaires uniques Bugatti).

Pas une mais deux autos pour le prix

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Toutefois, ces 19 nouvelles DB4 GT Zagato ne forment en réalité qu’une moitié de la collection DBZ Centenary, fêtant à la fois le centenaire de Zagato et les multiples collaborations entre le carrossier italien et le constructeur anglais. Chaque client devait en effet signer un chèque à 6 millions de livres hors taxes (7,17 millions d’euros) pour recevoir son exemplaire de DB4 GT Zagato. En plus de cet exemplaire fabriqué dans l’usine des projets spéciaux d’Aston Martin à Wellesbourne, le client  a également reçu un exemplaire de la DBS GT Zagato, une version recarrossée de l’actuelle DBS Superleggera “standard”.

Le prix astronomique de cette collection Centenary s’explique probablement par la valeur actuelle de la DB4 GT Zagato originelle, proche des 15 millions d’euros. Reste qu’avec un tarif incluant les deux Zagato (l’ancienne et la nouvelle), impossible de dissocier avec précision le prix de ces machines. Une chose est sûre : ces sommes placent le duo d’autos au niveau de la poignée de voitures les plus chères de la planète. Rien que ça.

Un bijou de l’artisanat de luxe moderne

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Chacune des 19 DB4 GT Zagato “Continuation” aura nécessité 4 500 heures d’une confection méticuleuse réalisée à la main par l’équipe d’Aston Martin Works. On pourrait cependant faire preuve d’un certain cynisme en abordant ce programme visant à fabriquer de nouveaux exemplaires de vieilles icônes mythiques. Programme qui double carrément le nombre originel de ces DB4 GT Zagato (en n’oubliant pas d’ajouter les quatre DB4 GT normales converties en Zagato “Sanction II” en 1989 avec la bénédiction d’Aston Martin). Il y a quand même un risque de ternir la légende à la façon des innombrables (et perfectibles) répliques de Shelby Cobra et autres Ford GT40 construites par le passé.

Mais la crainte s’efface dès le moment où vous contemplez l’une de ces machines. Certes, il y a bien une interruption de 60 ans dans la production du modèle. Mais on parle d’une voiture produite dans sa vraie usine et avec des composants modernes, respectant scrupuleusement les plans de l’ancêtre et améliorée en termes de performance, de fiabilité et de qualité. Il faudrait vraiment un cœur de pierre pour ne pas apprécier la magie qui se dégage de ces autos construites sur le même site qu’en 1959 et via les mêmes techniques. Des techniques désormais entre les mains d’une douzaine d’apprentis enthousiastes recrutés par Aston Martin Works depuis le début du programme Continuation.

Comme les panneaux de carrosserie étaient à l’origine martelés à la main par les artisans de Zagato à partir de fines feuilles d’aluminium et formés à l’œil, pas un seul d’entre eux n’était exactement le même. À tel point que ces DB4 GT Zagato d’antan présentaient souvent une terrible asymétrie lorsque vous les examiniez minutieusement !

Il faudrait vraiment un cœur de pierre pour ne pas apprécier la magie qui se dégage de ces autos

Aujourd’hui, les panneaux de carrosserie s’usinent d’abord à Newport-Pagnell. Grâce à un scan laser complet des machines originelles, Works a pu constituer un modèle numérique et garantir une parfaite symétrie sans pour autant nuire au fabuleux dessin d’Ercole Spada. Ces panneaux ultrafins (1,2 mm) se fixent ensuite à la structure “Superleggera” de la DB4. Après une finition à la main méticuleuse, l’auto finit dans les cabines de peinture dernier cri de Works. Les 19 voitures furent toutes terminées à la fin de l’année 2019, mais la rédaction a pu suivre leur construction à différents stades : de celui des simples “carapaces” en aluminium brut, encore marquées par les sévices de l’usinage, jusqu’à celui des carrosseries parfaitement lisses et brillantes chaussées des roues à rayons Borrani. Cette vision nous renvoyait directement en 1959.

Une utilisation limitée

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Comme la structure du châssis et la carrosserie, la mécanique conserve le design originel tout en profitant des améliorations offertes par le progrès de la science et des nouvelles méthodes de fabrication. Ou encore, de l’expérience rare de spécialistes de la rénovation comme RS Williams en matière de performance et de fiabilité. En raison de contraintes légales, ces 19 DB4 GT Zagato Continuation ne bénéficient pas d’une homologation routière et se limitent à une utilisation circuit. Ceux qui voudront malgré tout profiter de leur auto sur la route pourront frapper à la porte de Ray Mallock Limited (RML) qui a déjà mis au point un kit permettant d’homologuer la voiture (au Royaume-Uni en tout cas).

L’exemplaire de développement d’Aston Martin Works ne possède malheureusement pas ce kit d’homologation routière et nous nous contenterons de rouler sur la piste d’essai de Stowe. Située juste derrière le circuit Grand Prix de Silverstone, elle offre un tracé parfait pour mettre une auto à l’épreuve, avec des virages délicats et quelques bonnes lignes droites. S’approcher de la Zagato rouge scintillante, la petite clé dans la main, constitue un moment surréaliste. Pas pour sa valeur, mais surtout pour l’incroyable boucle spatio-temporelle de sept décennies qu’elle fait emprunter. Une voiture neuve de 1959 aujourd’hui, ça fait tout drôle. Cet exemplaire précis affiche déjà un bon nombre de kilomètres au compteur, essentiellement avec Darren Turner (pilote d’usine Aston Martin et trois fois vainqueur de catégorie au Mans) au volant. Malgré quelques concessions à la sécurité moderne (un arceau tubulaire, des baquets carbone au style incongru, des harnais complets et un système coupe-feu), c’est vraiment une machine à l’ancienne quand on grimpe à bord.

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Accrochez votre index dans la petite boucle, poussez le bouton, et la fine porte tremble avec empressement sur ses gonds. Simple, l’habitacle présente une multitude de compteurs Smith blancs sur fond noir qui attirent l’œil. Dans vos mains, le grand volant à la fine jante en bois s’offre à vous. Le levier des vitesses tout aussi chétif possède un pommeau en forme de goutte d’eau. Sans le moindre élément assisté par servo, le ressenti de chaque commande se révèle purement physique. Au début, cette sensation surprend défavorablement dans un monde où l’immédiateté et la facilité des commandes automobiles assistées font foi. Mais dès que l’on commence à “la travailler” sérieusement, la voiture prend vie entre vos mains.

En piste

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Dès le moment où la clé de contact actionne le démarreur, on se retrouve en immersion totale et totalement tourné vers l’acte primal de la conduite. La pompe à essence tique et crépite à l’arrière de la voiture, alors qu’elle alimente le banc de triples carburateurs Weber disposés à la droite du six cylindres en ligne à double allumage originellement conçu par Tadek Marek. Le nouveau bloc profite d’un litre de cylindrée supplémentaire par rapport à celui de 1959, avec 4,7 litres. Il développe ainsi 380 ch à 6 000 tr/mn (au lieu de 314) et 488 Nm à 5 000 tr/mn (au lieu de 377 Nm). Des chiffres sacrément ronflants pour une auto qui ne pèse que 1 200 kg et qui roule avec des pneus de courses historiques d’à peine cinq pouces de large. Du fait de la vocation 100 % piste de la machine, suspension et boîte de vitesses profitent de réglages compétition. On trouve donc des liaisons à fixation rigide pour optimiser l’efficacité plutôt que le confort, et une boîte de vitesses sans synchros pour des passages de vitesses rapides et une meilleure fiabilité. Ajoutez à cela un moteur de course qui aboie avec une hargne redoutable, et vous obtenez un tableau tout à fait inoubliable lors des premiers tours de roues.

Cette machine incarne l’antithèse absolue du pilotage de sportive moderne. La moindre de vos impulsions vous engage. Vous n’avez aucun droit à l’erreur, pas d’aides à la conduite, rien pour vous mettre à l’aise. Dès le début, la machine vous met à l’épreuve en grinçant lors du passage de la première. Elle s’ébranle avec un zeste d’accélérateur, y aller trop fort pourrait gaver les carbus Weber et saturer le train arrière. Pendant un bon moment, on patauge littéralement. Si vous n’avez jamais conduit une voiture des années 50 ou 60 par le passé, vos références ne servent à rien. Et même dans le cas inverse, l’accoutumance à la machine pose un vrai défi. La célérité impressionne tout autant que l’absence de grip. À la moindre impulsion hasardeuse, perdre le train avant ou arrière devient inévitable. Calmez-vous, respirez un grand coup et tentez de suivre la mesure. Petit à petit, vous identifiez les limites et parvenez à jouer avec. En se montrant doux avec la direction, on parvient finalement à trouver du grip. En écrasant l’accélérateur, la voiture se cale sur le train arrière, ce qui augmente la motricité. Avec une bonne synergie entre vos mains et vos pieds, vous voilà désormais sérieusement aux commandes de la Zagato. Et votre pied droit contribue autant que vos mains à définir une trajectoire. C’est un peu comme conduire sur la neige. À condition de rester doux, prévenant et sensible, on peut transférer le poids comme il faut vers l’avant à l’inscription et le renvoyer vers l’arrière en sortie. Les pneus avant sont ainsi moins sollicités lorsque vous visez la corde, puis vous utilisez le train arrière (et l’accélérateur) pour diriger la voiture vers la prochaine ligne droite.

Cette machine incarne l’antithèse absolue du pilotage de sportive moderne

Le passage des vitesses doit s’opérer avec une agressivité parfaitement dosée. En se montrant trop doux, la boîte grogne et craque alors que le levier trouve péniblement son chemin. Et en y allant très fort, l’opération paraît bien trop brutale. Les passages de vitesses parfaits s’obtiennent via un coup de poignet précis comme une attaque de Bruce Lee, et le levier traverse alors la grille en une seule fois. Les rétrogradages exigent aussi pas mal de travail au pédalier, si possible avec un vrai double débrayage académique au lieu du simple talon-pointe.

Délicate malgré tout

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Le point le plus délicat constitue assurément le freinage de la bête. Elle freine fort, mais sans ABS et posée sur de fins pneumatiques, les roues bloquent tout de suite. Il faut absolument recalibrer son cerveau en s’imposant de longues distances de freinage et en s’obligeant à freiner bien en ligne. Si vous prenez la pédale du milieu un brin trop tard, vous voilà contraint de braquer alors que votre pied se situe toujours sur le frein, et dans ce cas, vous sentirez inévitablement une roue se bloquer. La phase de ralentissement s’oppose radicalement à celle que l’on pratique dans les voitures de route et de course modernes qui permettent d’écraser sauvagement la pédale de frein sans se soucier de rien.

Je rêve de la conduire jusqu’au Mans Classic pour y battre quelques Ferrari avant de rentrer au bercail par la route

Je pensais qu’Aston Martin Works n’apprécierait pas spécialement que je cravache de toutes mes forces cette machine à la valeur inestimable. Mais le patron de Works, Paul Spires, me laisse m’amuser tour après tour. Pour les clichés du photographe, mais surtout pour mon pur plaisir personnel. À tel point que je connais désormais bien cette voiture après avoir fait crisser ses pneus plus que de raison. Une partie de moi se demande même si ce gros moteur de 4,7 litres ne gagnerait pas à être moins performant. Une autre partie de moi se dit qu’avec de telles suspensions à jointures rigides et une boîte aussi exigeante, la Zagato pourrait bien être trop délicate sur route avec le kit d’homologation proposé par RML. Mais la partie la plus romantique de mon être rêve quand même de conduire cette machine jusqu’au Mans Classic, y battre quelques Ferrari, puis rentrer au bercail par la route. Soit précisément le but des DB4 GT Zagato originelles.

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