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Ford Mustang Shelby GT500 : privé de dessert

Imaginez un monde où une supersportive coûte 73 000 $, soit environ 67 000 €. Imaginez qu’elle vous retourne l’estomac à chaque accélération et qu’elle fasse trembler les murs à deux kilomètres à la ronde. Imaginez qu’elle soit en plus capable d’aligner d’excellents chronos en piste, en s’équipant d’un pack spécifique. Ce rêve américain, Ford Performance l’a réalisé en 2019 grâce au sorcier Shelby… Mais il l’a homologué uniquement en Amérique du Nord. Officieusement, il a été possible de se procurer des cobras par le biais d’importateurs. En France, cela revenait à doubler la mise de départ. À ce tarif, le jeu en vallait-il la chandelle ? Est-ce qu’un tel monstre a sa place dans le garage idéal du collectionneur européen ? C’est ce que nous avons voulu savoir, en passant deux jours à ses côtés aux alentours de Los Angeles.

Au beau milieu d’un parking d’aéroport rempli de voitures de location, un vrombissement fait sursauter les touristes. Pas de doute, notre monture est en approche, avec sa carrure de footballeur américain, son regard ténébreux, son visage très aéré et ses échappements gigantesques… À partir de ce moment, bizarrement, un sourire béat envahit. Bienvenue sur la planète muscle cars ! À bord, on retrouve l’ambiance de la Mustang classique, avec des plastiques corrects sans plus, une position de conduite assez haute et une vue imprenable sur le capot, ici bombé et aéré. Dépaysement garanti. La plus dingue des Pony conserve des places arrière (sauf avec le pack Carbon Fiber Track) et de confortables baquets Recaro optionnels, qui ont l’avantage de combiner moelleux et maintien. Ils se recouvrent d’Alcantara et de cuir, comme le volant. Contrairement au physique, l’habitacle reste sobre et la transformation Shelby se cantonne à quelques serpents et à deux manomètres surplombant la console : pression et température d’huile. Bref, il reste avant tout fonctionnel et pratique. À croire que Ford Performance incite les clients à l’utiliser au quotidien. De l’inconscience ? Pas du tout. La GT 500 envoie quelques signaux : fermeté à basse vitesse, insonorisation, rudesse de la boîte en Drive, phénomène de guidonnage… Mais ils restent raisonnables au regard de la trempe d’un tel coupé. Cette Shelby sait se montrer conciliante : se fondre dans le trafic, descendre sous les 20 l/100 km (!), saluer la communauté Mustang qui l’interpelle à coups de mains levées, de portables brandis, de moteurs hurlants ou d’appels de phares. Comme les petites sœurs, il faut rester sur ses gardes en raison de gros angles morts, capables d’engloutir une Fiat 500. Désolé, mais quelle idée de rouler en microcar au pays des pick-up ? Il suffit toutefois d’effleurer l’accélérateur pour réveiller le démon, pixéliser le paysage et glacer le sang.

ford mustang shelby gt500 : privé de dessert

Quel regret de ne pas avoir eu cette Shelby GT500 en Europe !

Tout doux Pony

La méfiance est de mise, eu égard aux 770 canassons et au souvenir de l’ancienne génération (2007, 500 ch) qui patinait jusqu’en 4e sur le sec ! À tort, car le couple astronomique (845 Nm à 5 000 tr/mn) passe au sol dès la seconde, avec des pneus à température. À raison, car le déferlement est tel que l’instinct de survie pousse à relâcher les gaz avant le rupteur, situé à 7 500 tr/mn ! Oh, my god. Le “small block” à compresseur masse vigoureusement dès les bas régimes, prend son souffle et assomme dès 3 000 tr/mn. Tout juste le temps de se cramponner au cerceau et de regarder au loin avant que la seconde salve emporte à 5 000 tr/mn. Le meilleur reste à venir. Le ton change et le corps se met en position de repli pour encaisser le choc… Du genre bestial, qui prend aux tripes et les réduit en bouillie avant de les éparpiller façon puzzle. Le show est aussi renversant qu’à bord d’une Donkervoort GTO RS. Soudain, la circulation sur les highways se fige. Tout le monde se met aux abris. Désolé, le Cobra a frappé.

Il faut dire que Shelby ose greffer un compresseur Eaton de 2,65 l et son échangeur au sein du V du fabuleux 5,2 litres, sévissant sous le capot de la GT350. Forcément, cela réclame quelques aménagements : bielles, lubrification, carter renforcé, refroidissement mobilisant six radiateurs (dont deux à haute capacité dérivés de la compétition) installés dans la gueule béante capable d’engloutir deux fois plus d’air que celle de la GT350. Contrairement à cette dernière, la GT500 abandonne le vilebrequin “plat” caractéristique (manetons décalés à 180° au lieu de 90°) pour un traditionnel en “croix”. Ford estime que la réactivité du compresseur à bas régime compense largement celle d’un vilebrequin “plat”. Les cotes de ce bloc demeurent toutefois supercarrées. Le taux de compression, lui, est ramené de 12 à 9,5, tandis que le régime maxi chute de 8 250 à 7 500 tr/mn. Ce qui représente déjà un exploit de la part d’une telle mécanique dopée. Rappelons que l’injection se produit dans la tubulure d’admission, contrairement au 5 litres des Mustang à bi-injection. Le résultat dépasse l’entendement. Carroll Shelby aurait été fier de ce V8, qui respire sacrément bien malgré l’absence de filtre à air conique. Il est certain que l’on entend plus l’échappement (en acier) que le compresseur (discret) ou le saccadé typique à l’admission, à peine perceptible en mode normal. Comment un tel tromblon peut-il être homologué ? En mode Piste, soumis à approbation au tableau de bord, les grondements prennent une telle ampleur qu’ils en font vibrer la carlingue. Même les basses affolantes de la sono Bang&Olufsen (de série) ne peuvent lutter. C’est sans doute l’un des échappements les plus dingues de la production. Rien que pour lui, on rêverait d’avoir un Stop&Start et de sursauter à chaque redémarrage ! La 911 GT2 RS paraît aphone à côté, comme la Corvette C7 ZR1. C’est dire. Et la force, le caractère ? Les ennemies citées jettent l’éponge. Il n’y a guère que la Challenger Hellcat Redeye qui pourrait lui donner le change, du haut de ses 808 ch et de son 6,2 litres à compresseur.

Il faut toutefois garder à l’esprit qu’une Dodge pèse 150 kg de plus, ce qui n’empêche pas le constructeur d’annoncer des accélérations équivalentes à celles de la GT500. En la matière, les 911 et Corvette figurent aux avant-postes, en raison d’une masse annoncée nettement inférieure : - 280 kg pour la ZR1, - 424 kg pour l’ex-991 ! Un gouffre. 

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Tenter le diable

Pour avoir une idée du potentiel du Cobra, rien ne vaut un départ canon. Tentant, entre le launch control et le chrono embarqué. Les entrées d’autoroute équipées de feux de départ poussent au crime. Mode Track engagé. Aides repoussées. Le régime régule à 2 500 tr/mn… Et le décollage est hésitant, en raison d’un antipatinage pas très futé (à croire qu’il est réglé pour des Cup 2). À des années-lumière du côté prédictif des Porsche ou McLaren. On réédite plus tard la manœuvre, sur des routes désertes. Rien à faire, le chrono indique au minimum 4’’98 avec les Michelin Pilot Sport 4S de série… Loin des 3’’5 promis, obtenus avec de la glu : les Cup 2 optionnels. Il ne faut pas rêver : poids lourd, propulsion à moteur avant et couple débordant ne font pas bon ménage. En débranchant tout, y compris le cerveau, le panache de fumée est visible depuis la station MIR. « Allô Houston, tout est sous contrôle  ? » En reconnectant les neurones, le grip est surprenant et les accélérations se hissent au niveau d’une super GT type AMG GT-R et non d’une supersportive. Les rapports de boîte sont aussi longs que ceux d’une PDK, donc moins caricaturaux qu’à l’accoutumée. La bride intervenant à 290 km/h doit être atteinte en quelques coups de palettes. Vous avez bien lu “palettes”. La plus dingue des Shelby écarte le levier pour un double embrayage piloté signé Tremec. Une révolution. Cette boîte à sept rapports risque de choquer les aficionados du convertisseur en ville par sa rudesse. Elle préfère les rythmes endiablés et a du répondant en Drive Sport ou lorsque l’on prend les commandes. Ford annonce des temps de passage inférieur à 100 ms et couple cette Tremec à un arbre de transmission en carbone. Qui a dit que les muscle cars étaient arriérées ? Même si elle n’est pas parfaite, la gestion suit la cadence infernale, comme nous avons pu le constater sur de sublimes routes de montagne. Le paradis, non loin de la cité des Anges !

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Piqué au vif

Il suffit de se diriger vers le nord de la ville, en direction de la Canada Flintridge et de prendre la route 2, Angeles Crest Highway. Des dizaines de kilomètres de lacets vous attendent. Attention aux shérifs, en observation au sommet du premier col. Mais une fois passé ce coin touristique jonché de beaux points de vue, la circulation est quasi nulle en semaine. Seuls les connaisseurs prolongent la balade : motards, passionnés en tous genres, dont certains sous-virant en berlines à l’agonie. Affligeant.

Avec une telle masse et une route aussi sélective, on s’attend à ce que la Shelby souffre et à ce que le conducteur tricote des avant-bras. Pas du tout. L’effet n’est pas aussi sidérant qu’avec la GT2 RS, mais il en prend le chemin avec une rigueur inespérée à ce niveau de puissance. Inutile d’espérer rentrer aussi fort en courbe que les ennemies Porsche ou Chevrolet… Mais les vitesses de passage et le grip latéral sont déjà épatants avec les 4S. On profite du bel équilibre caractérisant la 6e génération de Mustang et on en ressort sans valser. Impensable. Les mouvements de caisse s’amoindrissent en Sport, puis les amortisseurs pilotés (de série, Magneride) se verrouillent en Track, au détriment du confort. Ce mode est à réserver à du billard, mais l’apport est réel… Et donne des ailes. La direction, à l’assistance modulable (spécifique), renvoie suffisamment d’infos pour flairer les limites, mais demeure un brin filtrée. Les freins, eux, mettent davantage en confiance alors que leur tâche est insoutenable. Le répondant à la pédale est idéal et la force de décélération… inespérée et constante. La GT 500 embarque l’un des dispositifs les plus gros au monde, signé Brembo : 420 mm à l’avant et 6 pistons ! La taille des gommes n’est pas mal non plus, avec 315 mm de large à l’arrière.

ford mustang shelby gt500 : privé de dessert

Ce V8 à compresseur incarne le diable en personne. Mais qu’est-ce qu’on aimerait partager sa vie avec lui !

En tenant compte du grip et de l’enthousiasme, le mode Normal est vite écarté car trop castrateur. En Sport, déjà, les aides interviennent peu sur le sec et incitent à basculer en Track. L’ESP est muselé (pas off) et l’antipatinage devient cette fois un véritable allié pour s’extirper des courbes. Le travail des Michelin et du différentiel Torsen est remarquable. Au point d’avoir la curiosité de couper les aides. Juste pour voir. À notre grande surprise, le fauve reste contrôlable et progressif. Il faut s’en occuper, doser, mais rien d’anormal… À l’image de ce que l’on ressent à bord d’une GT2 RS dans de telles conditions. Que d’émotion. Ford Performance et Shelby ont fait un sacré boulot. Ils ont commencé par renforcer le châssis, allant jusqu’à greffer des entretoises en magnésium à l’arrière. Les barres stabilisatrices forcissent. Les ressorts s’allègent et se rigidifient. La géométrie du train avant peut être modifiée, en jouant sur le carrossage. Cette manip’ est optionnelle et comprise dans le pack Handling (1 500 $), incluant aussi un becquet plus travaillé comme ici, ou le Carbon Fiber Track Package (18 500 $). Ce dernier opère une radicalisation. Au point d’être en mesure de menacer une GT2 RS sur circuit ? Non, il ne faut pas abuser. Mais la GT500 a les moyens de donner du fil à retordre à la Corvette C7 ZR1 et transpire la rigueur germanique aux yeux de l’incontrôlable Hellcat.

Après tout cela, on n’a qu’une envie : prolonger l’aventure. C’est ce que nous faisons, en profitant de tunnels qui transpercent les tympans, en grimpant jusqu’à entrevoir la neige et des stations de ski… alors qu’une heure avant, le thermomètre indiquait 28 °C. Incroyable cette Californie, tout comme les barrières non annoncées qui ferment l’unique route menant à la ville la plus proche. Damned, il reste peu de carburant et la muscle car le ventile dans ces conditions. Le trajet retour s’effectue à l’économie, en enroulant les courbes en 6e à un rythme surprenant… au regard de la tête du policier croisé au sommet du dernier col. Heureusement, il est occupé. Cela ne vaut pas celle faite par un collègue à lui, à la sortie d’un tunnel en banlieue de Los Angeles un peu plus tard. Désolé Monsieur l’agent, ce V8 incarne le diable en personne. Mais qu’est-ce qu’on aimerait partager sa vie avec lui ! Cela réclame un investissement inférieur à celui de la GT350 R aux USA, et environ 150 000 € en France… Même à ce prix, il est difficile de trouver plus fort en sensations. Alors un grand oui, la GT500 a toute sa place dans le garage idéal du collectionneur européen.

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