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La parole au chirurgien de Márquez : "La nuit d'avant, je n'ai pas fermé l'œil"

Le chirurgien qui a pratiqué sur Marc Márquez celle qui était présentée comme l’opération de la dernière chance, pour le débarrasser des séquelles de son bras fracturé en 2020, a accepté de revenir pour Motorsport.com sur la préparation d’une intervention à l’enjeu majeur.

Même sa déception il y a quelques jours à Sepang, lorsqu’il a pris le guidon d’une nouvelle Honda censée le ramener à la victoire mais qui, à en juger par ses performances initiales, ne semble pas destinée à beaucoup connaître le champagne n’a pas découragé Marc Márquez. Le pilote espagnol a en effet commencé à percevoir l’été dernier la lueur au bout du tunnel le plus sombre qu’il ait jamais eu à traverser. Après deux ans de calvaire et trois opérations sur son humérus droit, la quatrième intervention, pratiquée en juin 2022, l’a complètement reboosté.

Comme le montre clairement la série documentaire All In, qu’Amazon Prime diffusera la semaine prochaine, la limitation physique dont il souffrait l’a amené à envisager la retraite comme une réelle option. Celui sur qui pesaient les derniers espoirs, et donc la responsabilité d’empêcher Márquez de raccrocher à 29 ans, est le Dr Joaquín Sánchez-Sotelo, chirurgien à la Clinique Mayo dans le Minnesota. Motorsport.com a pu s’entretenir avec lui.

Comment avez-vous été approché par Marc Márquez ?

Marc avait déjà été opéré trois fois en Espagne, deux fois à Barcelone et une à Madrid. La dernière opération avait été pratiquée par le Dr Samuel Antuña, qui est très reconnu en Europe comme aux États-Unis. Il m’a appelé et m’a dit que, bien que l’infection ait été résolue, Marc avait des problèmes de mobilité, essentiellement externe. Dans un premier temps, je lui ai conseillé de se donner quelques mois de plus, pour que cela s’améliore autant que possible. Une fois cette période passée, il m’a dit qu’il n’arrivait toujours pas à contrôler la moto dans les virages et qu’il avait aussi des problèmes au freinage. Il n’arrivait pas à bloquer son bras, qui partait vers l’intérieur.

Marc m’a envoyé un scanner des deux bras. Grâce à l’impression 3D, nous avons reproduit ses deux humérus en plastique : le gauche et celui qui était blessé, qui présentait une rotation considérable. Nous avons fait un appel en visio, je lui ai montré les os et il a dit : “Je me fais opérer.”

Pourquoi a-t-il fallu se rendre aux États-Unis ?

En orthopédie, à mesure que la complexité de la chirurgie augmente, il est important de trouver quelqu’un qui a beaucoup d’expérience dans ce domaine en particulier. Ce qui est unique à la Clinique Mayo, c’est la spécialisation. Je ne m’occupe que de l’épaule et du coude, et j’en fais beaucoup. Mais je dispose aussi de beaucoup d’appareils et de ressources qu’on peut difficilement obtenir ailleurs. Le département d’impression 3D est spectaculaire. Je parle avec un ingénieur, nous planifions et concevons l’opération sur un ordinateur, nous imprimons les lignes de coupe et ainsi de suite.

Combien d’opérations de ce type avez-vous réalisées auparavant ?

L’opération de Marc est rare, j’en fais une ou deux fois par an. En fait, c’est parce que les patients à qui il arrive la même chose, et dont l’os présente une rotation similaire, s’adaptent dans leur vie quotidienne. S’il était footballeur, il se serait probablement adapté pour jouer avec son bras comme ça. Mais, par exemple, cela l’aurait limité dans un geste aussi simple que celui de se laver les cheveux.

Le bras de Marc Marquez en 2022

Le bras de Marc Márquez en 2022

En quoi consiste la technique du miroir ?

Le corps humain est très symétrique. L’humérus droit d’une personne est identique à son humérus gauche. Pour une opération comme celle que nous avons réalisée sur Marc, il est très utile de faire un scanner du côté sain et le programme informatique est capable d’en faire une image miroir. On l’imprime ensuite en 3D, de sorte que le chirurgien voit comment était cet os avant la fracture. Lorsque l’on veut reconstruire un os pour le retrouver tel qu’il était avant une blessure, c’est très utile. D’autant, qu’en plus, cette technique permet de concevoir des gabarits de coupe stérile, en plastique, qui sont fixés à l’os. De cette façon, la coupe et la rotation sont très précises.

Y a-t-il des limites ?

Marc a une telle capacité de sacrifice que je ne pense pas qu’il ait de limites. Je pense que les opérations précédentes qu’il a subies aux épaules [après des luxations, ndlr] lui ont causé plus de problèmes que celle-ci. D’un point de vue médical, l’humérus est tel qu’il était avant la chute. Personnellement, le seul doute que j’avais, c’était de savoir s’il aurait une quelconque appréhension à l’idée de remonter sur la moto, Mais, connaissant un peu la personne, il me semble que l’aspect mental est plutôt sous contrôle.

Que souligneriez-vous à son sujet en tant que patient ?

Il a deux très bonnes caractéristiques. La première, c’est qu’il fait totalement confiance à l’opinion des professionnels. Ce qu’il veut, c’est une communication directe et claire. Ensuite, il se donne à fond dans tout ce qu’il fait. Il faut savoir que si vous le laissez faire des pompes, il ne va pas en faire une, il en fera cent. Il m’a dit de ne le laisser faire certaines choses que lorsque je serais sûr qu’il pouvait les refaire sans risques.

Dans le documentaire, il apparaît clairement que l’origine du problème a été la précipitation avec laquelle il a cherché à courir à nouveau, à Jerez, quelques jours après la première intervention. Dans quelle mesure avez-vous gardé cela à l’esprit ?

J’ai dit à Marc qu’il ne pouvait pas compromettre cette quatrième opération parce qu’il était pressé. Et il a dit oui, qu’évidemment il comprenait. Il avait été échaudé. Mais, en même temps, il m’a aussi clairement fait comprendre que, dès que je lui donnerais la permission, il se donnerait à fond.

Le Dr Sánchez-Sotelo au centre de la photo, près de Marc Márquez

L’avez-vous vu douter du fait que cette quatrième opération était la meilleure solution ?

Lorsqu’il a vu l’image en 3D des deux humérus, il a compris que la meilleure solution était de se faire opérer. C’est une preuve très visuelle. Quand il a compris qu’il avait une chance que cela s’améliore, il m’a dit qu’il prenait un avion et qu’il venait ici immédiatement. Il a été très courageux, car lorsque vous dites à un patient qui s’est cassé le bras que vous allez l’ouvrir à nouveau, la plupart des gens disent que vous êtes fou. C’était la seule façon de faire.

Avez-vous évoqué le risque que cela puisse mal se passer ?

Ce qui m’a beaucoup aidé, c’est de planifier le cas avec une attention et un soin extrêmes. D’autres chirurgiens qui l’avaient vu auparavant m’avaient recommandé de couper l’os à l’endroit même où se trouvait la fracture précédente. Et cela, de mon point de vue, était plus risqué car il y avait eu une infection à l’intérieur de l’os. J’ai cherché une façon de rendre l’opération aussi peu invasive que possible, la moins risquée possible. L’os est un cylindre, j’ai donc décidé de faire la coupe un peu plus haut pour limiter le risque de complications. Bien qu’il puisse toujours y avoir des problèmes dans une salle d’opération, j’avais le sentiment que cela allait fonctionner. Mais, évidemment, la nuit qui a précédé l’opération, je n’ai pas fermé l’œil. Je me disais : “Mon Dieu, j’espère que tout va bien se passer.”

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