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Comment l'Espagne a surpassé la France dans la production automobile

comment l'espagne a surpassé la france dans la production automobile

Pierre-André Buigues et Denis Lacoste

En 2023, Renault a produit plus de véhicules automobiles en Espagne qu’en France. D’après certains experts, l’Espagne produira en 2030, plus de véhicules électriques que l’Allemagne ! Comment expliquer cette formidable réussite industrielle de l’Espagne ? Quelles leçons en tirer pour la France ?

Quelle est la dynamique de la construction automobile en Espagne ?

On produit en Espagne plus de véhicules (particuliers et utilitaires légers) qu’en France : 2,2 millions contre 1,4 en 2022 (OICA). Pourtant, la demande automobile est dans l’hexagone deux fois plus importante. Notre pays dispose de deux grands constructeurs quand l’Espagne n’a plus de constructeur national depuis que Seat a intégré VW en 1986.

Sur la période 2000-2003, la production automobile en France surpassait celle de l’Espagne de 22%. Cependant, depuis 2009, la dynamique s’est inversée, et sur 2020-2022, l’Espagne a assemblé 59% de voitures de plus que la France. Le secteur contribue positivement au commerce extérieur espagnol quand son homologue français est devenu déficitaire : 16,5 milliards d’excédents en Espagne, 18 milliards de déficit chez nous (Anfac, CCFA).

Le succès de l’Espagne repose sur l’implantation d’usines de producteurs étrangers (Renault, Stellantis, Ford, VW, Mitsubishi, …). Renault a une capacité de production de 580.000 unités en Espagne (Les Echos, 31/08/2021), plus que sa production de 2022 sur le sol français : 432.000 véhicules particuliers et utilitaires légers (CCFA). Son usine de Palencia exporte 85% de sa production hors d’Espagne. De son côté Stellantis aurait choisi l’Espagne pour produire la quasi-totalité de ses petites voitures électriques, au prix d’un investissement de plus d’un milliard d’euros. De plus, ce même groupe envisage une usine de batteries outre-Pyrénées, un investissement de 3 milliards d’euros (L’automobile & L’entreprise, 5/12/2023)

Comment expliquer cette dynamique Espagnole ?

La première raison de l’attrait de l’Espagne est liée au coût de main-d’œuvre. L’heure de travail coûte 38,4 euros en France, contre seulement 22,4 en Espagne (ECMO). La différence est très significative. Si les coûts de la main d’œuvre directe représentent « seulement » 15 % des coûts d’exploitation de l’industrie automobile française, les coûts indirects de main d’œuvre (par l’achat d’intrants intermédiaires nationaux) pèsent 28 % des coûts totaux (Conseil d’Analyse Economique).

La deuxième raison est à mettre au crédit de la productivité espagnole, la plus forte d’Europe. Quand un employé français de l’automobile produit 6,2 véhicules par an, un Espagnol en assemble plus du double : 13,4 (ACEA). Des usines modernes largement robotisées en Espagne font la différence avec des usines françaises généralement assez anciennes.

Troisième raison : la fiscalité. Le poids des prélèvements obligatoires (cotisations employeurs, taxes sur la production, impôts sur les revenus) était en 2019 de 16.9% de la valeur ajoutée en Espagne, 22.7% en France (Rexecode).

Enfin, l’Espagne attire les constructeurs automobiles étrangers grâce à un écosystème performant. Selon Sernauto, l’association des fournisseurs de l’automobile en Espagne, il y aurait plus de 1000 fabricants de composants automobiles sur le sol espagnol et une dizaine de clusters.

L’industrie automobile espagnole n’échappe pas à la révolution de l’électrique, mais ce pays semble bien parti pour en gagner le pari. Selon le cabinet Inovev, l’Espagne produirait environ 1,5 millions de voitures tout électriques en 2030, un peu plus que l’Allemagne et bien plus que la France, 800.000 unités.

Quelles leçons pour la France ?

Notre situation est presque à l’opposé de celle observable de l’autre côté des Pyrénées : nous disposons de deux des plus grands constructeurs mondiaux, mais la production domestique ne cesse de décroitre.

De bonnes mesures ont été décidées depuis quelques années (baisse des impôts de production, CICE, aides à la R&D, subventions aux usines de batteries), mais il reste beaucoup à faire du point de vue du coût du travail et de la fiscalité sur les entreprises pour attirer de nouveaux projets d’investissements d’entreprises étrangères dans l’automobile électrique : la comparaison avec notre voisin espagnol est encore largement à notre désavantage !

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(*) Pierre-André Buigues est ingénieur Sup’Elec et a obtenu son doctorat à l’université d’Aix Marseille. Il a travaillé pendant 20 ans à la Commission Européenne où il a été Conseiller Economique adjoint à la Direction Générale de la Concurrence. Professeur émérite à TBS Education, il est l’auteur de très nombreux livres et articles sur la politique de concurrence, les politiques de soutien à la compétitivité et les stratégies internationales. Son dernier livre, co-écrit avec Elie Cohen, « Le décrochage industriel », a été publié chez Fayard.

Denis Lacoste est docteur en sciences de gestion de l’IAE d’Aix en Provence. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, articles de recherche et articles de presse dans le domaine de la stratégie d’entreprise et du développement international. Son dernier ouvrage « Les 10 notions clés de la stratégie d’entreprise » a été publié aux éditions De Boeck.

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