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Formes et couleurs d'une voiture : comment c'est devenu le goût des autres

L’automobile révèle beaucoup de nous-mêmes, et de notre société. Ses formes et ses couleurs ont longtemps caractérisé un pays avant que la mondialisation ne vienne banaliser et uniformiser le style.

Jusqu’aux années 70, avant les deux chocs pétroliers, les constructeurs se distinguaient assez facilement d’un pays à l’autre. Les françaises étaient élégantes et pratiques, les anglaises raffinées et bien finies, les Italiennes sportives et racées, les Allemandes statutaires et robustes, les Américaines énormes et puissantes, et les Japonaises originales et innovantes. Il était alors aisé de reconnaitre la nationalité d’un modèle, et même de les distinguer d’une marque à l’autre. En sport automobile, chaque nation arborait une couleur spécifique avant l’avènement du sponsoring : bleu pour la France, vert pour l’Angleterre, rouge pour l’Italie, Jaune pour la Belgique, etc. Au sein de chaque pays, les marques nationales dominaient largement leur marché domestique, et posséder une voiture étrangère était en soi un signe de statut social et de différenciation. Bon nombre d’automobilistes avaient d’ailleurs une approche patriotique de leur véhicule. Un Français se devait d’acheter et de rouler français. Nos exportations surfaient sur une certaine image de la France, teintée d’élégance et d’ingéniosité. C’est ainsi que dans les années 50, Renault avait tenté de séduire les Américains, et que plus récemment, Citroën a positionné sa nouvelle marque DS en Chine autour du luxe à la Française. Cette stratégie n’a pas toujours été payante…

formes et couleurs d'une voiture : comment c'est devenu le goût des autres

Cabriolet DS 19 Palm Beach carrossé par Chapron.© Yohann Leblanc

Goutte d’eau et néo-rétro

Puis la voiture mondiale est arrivée : même forme pour tout le monde. Ford a été l’un des pionniers avec sa Cortina/Taunus et sa bien nommée Mondeo. Concomitamment, le design s’est uniformisé au gré des évolutions des bureaux de style s’internationalisant et se copiant les uns sur les autres. On a eu droit ainsi au style compact anguleux des années 80, aux lignes “goutte d’eau” des années 90, au retour des angles droits avec le style “Edge”, puis à des formes plus tourmentées permises par la conception assistée par ordinateurs, notamment chez les asiatiques dans les années 2000. A la même époque, on assiste à un retour vers le passé appelé néo-rétro avec les Fiat 500, Austin Mini ou les Ford Thunderbird et Mustang reprenant les codes stylistiques des modèles originels. Cette tendance se poursuit chez Renault avec l’Alpine et le lancement de la nouvelle Renault 5 électrique.

Le temps du consensus

Aujourd’hui, il est devenu ardu de distinguer une européenne d’une asiatique : seule la calandre (et encore) permet d’identifier la marque. Ceux qui veulent plus nettement marquer leur style déroutent parfois leurs propres clients, à l’instar de BMW avec les lignes de coffre de la série 7 début 2000 ou ses calandres proéminentes début 2020. Seules quelques marques de prestige parviennent à conserver leur personnalité, comme Rolls, Bentley, ou Lamborghini et Porsche. La majorité préfère miser sur un style consensuel, accepté sur tous les continents. La personnalisation et les couleurs deviennent alors les seuls éléments de différence culturelle.

Le client est roi

Aux origines de l’automobile, beaucoup de clients fortunés achetaient un châssis motorisé à un constructeur puis s’adressaient à un carrossier pour l’habiller selon leurs désirs. La France fut maîtresse en la matière jusqu’à la fin des années 40. De grands noms tels Antem, Chapron, Figoni et Falaschi, Letourneur et Marchand, Saoutchik, et bien d’autres, ont alors créé des formes élancées sur des bases Delage, Delahaye ou Hispano-Suiza. Seul Chapron a survécu jusqu’aux années 70, en déclinant pour le compte de Citroën, un splendide (et coûteux) cabriolet DS. La personnalisation était alors la norme.

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N’importe quelle couleur, du moment que c’est noir: c’était le seul choix laissé par la Ford T. À Detroit, toutefois, cette pionnière de l’automobile industrielle a préféré voir rouge.© Alexandra Legendre

Henry, le précurseur

Lorsque la production de masse s’est développée à partir des années 20/30, le choix des options et des couleurs est devenu plus limité de sorte à réduire les prix de revient. Le précurseur de la fabrication à la chaine, Henry Ford, avait déjà amorcé cette révolution en déclarant que tous ses clients pouvaient choisir la couleur de leur modèle T pourvu qu’elle soit… noire. Le noir s’est en effet imposé comme la couleur dominante des années durant, remplacé parfois par du gris, du beige ou du bleu. Le parc automobile du Paris des années 50 était encore très majoritairement sombre. Les teintes métallisées ne se sont véritablement démocratisées en Europe que dans les années 60/70. Hormis les constructeurs haut de gamme, le choix de coloris était assez limité en France, sauf chez Simca qui proposait des teintes pastel, souvent bicolores, sur ses modèles Aronde ou Versailles, très inspirés des codes américains en vigueur dans les années 50.

Blanc et gris

D’un pays à l’autre, les couleurs dominantes variaient peu, mais certaines teintes de marron, de vert ou de rouge étant plus appréciées en Allemagne et au Royaume-Uni que dans les pays Latins. Globalement, le blanc et le gris se retrouvaient partout ; c’est toujours le cas aujourd’hui, avec le bleu et le noir. Le noir, après avoir disparu dans les années 70 (sauf pour les voitures officielles), est revenu progressivement dans les nuanciers au cours des décennies suivantes, pour s’imposer aujourd’hui comme l’une des 3 couleurs (avec le blanc et le gris) préférées des français selon les études menées par les fabricants de peinture Axalta et BASF. Ce trio de tête est pratiquement identique dans le monde entier. Malgré un choix sans cesse plus large, et des modes passagères, les automobilistes sont assez peu originaux. Dans les années 70, les oranges, jaunes ou verts pomme firent fureur quelques temps. De temps à autres encore, une nuance nouvelle rencontre du succès, comme certains bronze-cuivrés il y a quelques années, ou des bleus électriques, mais globalement, les couleurs vives sont nettement moins choisies, sauf si on acquiert une Ferrari… Même les Porsche sont majoritairement grises ou noires alors qu’il est possible de les avoir en bleu clair ou jaune citron (couleurs qui sont du reste très recherchées en occasion). Le consommateur pense qu’une couleur originale est plus difficile à revendre en seconde main, ce qui peut s’entendre sur un modèle d’usage courant, mais surprend s’agissant d’une automobile plaisir.

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Une question de budget…© Mansory

Le droit à la différence

La concurrence entre les marques les conduit à déployer une offre toujours plus large en options et coloris. Les plus luxueuses ont créé des départements « exclusif » permettant au client de configurer son modèle à sa guise, jusqu’à obtenir une couleur unique reprenant par exemple celle des escarpins de son épouse ou d’un paysage adoré… Il en va de même pour la sellerie et les accessoires. Chez Rolls-Royce ou Bentley, tout est possible, ce n’est qu’une question de budget (la personnalisation pouvant aller jusqu’à doubler le prix initial du véhicule). Chez les généralistes plus populaires, un certain degré de personnalisation est également possible, comme chez Mini ou Fiat, mais aussi chez nos constructeurs nationaux. Pour autant, nous l’avons vu, peu de client se lâchent vraiment. Ce n’est pas qu’une question d’argent ; il s’agit davantage de culture. Finalement, la majorité des automobilistes qui acquièrent une voiture neuve est relativement conservatrice et ne souhaite pas se faire trop remarquer tout en pensant à la revente. En occasion, le comportement est analogue, et comme le choix résulte du parc acheté neuf quelques années auparavant, les couleurs dominantes ne changent pas. Ce phénomène se constate dans la quasi-totalité des pays. Il indique une certaine banalisation des gouts du fait de la mondialisation des marques et des tendances de la consommation de biens. Cela se retrouve dans les domaines de l’informatique, de la téléphonie ou de l’électro-ménager par exemple.

Les enfants comme les parents

On pourrait imaginer que les gouts et les couleurs différent selon l’âge, le sexe ou la condition sociale, mais il suffit de voir le style et les couleurs des véhicules sans permis conduits par les jeunes à partir de 14 ans, pour s’apercevoir que les coloris sont proches de ceux de la voiture de leurs parents. Les femmes n’optent pas pour des options et des couleurs foncièrement différentes de celles choisies par les hommes,elles aussi plébiscitent le noir, le blanc ou le gris. Et enfin, le statut social ne change rien à l’affaire, les plus modestes comme les plus aisés partageant les mêmes gouts et envies, les derniers disposant simplement de plus de moyens pour les assouvir. Il y a bien quelques excentriques peu soucieux du regard des autres, voire désireux de se faire remarquer, qui osent des personnalisations tranchées, mais, à moins de vivre à Dubaï, d’être une star du Rap ou du football, ou un adepte du custom pur et dur, ils demeurent une petite minorité.

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La vie en gris et noir pour tout le monde© Alex Krassovsky

Le goût des autres

On peut le regretter, sachant le temps que l’on passe à regarder son véhicule et à l’utiliser. Pourquoi ne pas choisir une couleur qui nous plait vraiment plutôt que d’adopter le goût des autres ? Après-tout, sa voiture est souvent le révélateur de sa personnalité, et la couleur est ce qui se remarque en premier, tout comme un vêtement ou une paire de chaussures. Il y a donc une sorte de paradoxe dans le comportement d’achat. D’un côté, le client veut se démarquer et posséder un véhicule personnalisé ; de l’autre il épouse finalement les tendances générales et se fond dans la masse. Le diable se nichant dans les détails, l’automobiliste ajoute souvent un signe distinctif tel un gadget ou un autocollant pour donner une touche personnelle à son véhicule ; plus rarement une combinaison de deux couleurs comme parfois les Italiens en proposent (Lancia – Fiat), ou encore Opel (Adam). Il n’y a guère que Mini qui parvient à convaincre sur une couleur de toit différente de celle de la caisse, en référence aux premières Austin Cooper des années 60 ; et aussi DS qui évoque pareillement le modèle historique. Une fois la petite touche personnelle ajoutée, l’automobiliste éprouve le sentiment de rouler dans « sa » voiture, et réconcilie les deux attentes : uniformisation et différenciation.

formes et couleurs d'une voiture : comment c'est devenu le goût des autres

La livrée jaune poussin de la nouvelle Renault 5 électrique sera-t-elle plébiscitée par les clients ?© Alex Krassovsky

Quel dommage !

L’adage selon lequel les gouts et les couleurs ne se discutent pas est certes empreint de vérité : les critères de choix ne sont pas rationnels et répondent essentiellement à des émotions. Pour autant, le choix des couleurs, et dans une moindre mesure, des options, en matière d’automobiles aboutit au constat de consensus autour de quelques couleurs dominantes neutres et peu fantaisistes. Comme ce sont celles que l’on voit le plus dans la rue, il est assez logique qu’elles attirent l’œil du futur acquéreur. Dès lors, la démarche consistant à se projeter sur une teinte atypique est plus compliquée, de sorte que la majorité ne franchit pas le pas. La nouvelle Renault 5 éléctrique, présentée en jaune pétant ne sera sans doute pas la plus choisie. Et c’est dommage car un peu plus de couleur dans notre environnement automobile rendrait aussi la vie plus belle dans le paysage urbain.

Notez cet article Publié le 29/03/2024 à 10:10 Véhicules d’occasion

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